Page:Fabre - Chroniques, 1877.djvu/97

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« Le ministère fort et puissant qui nous gouverne vient d’ajouter un nouveau bienfait à tous ceux dont il a déjà comblé le pays. »

Ou bien :

« L’odieuse coterie qui nous tyrannise vient d’ajouter une nouvelle infamie à la longue série de ses trahisons. »

On frappe de nouveau. Cette fois, c’est un abonné qui se plaint de ne pas recevoir son journal. Il lui manque un numéro sur trois ; sa femme qui lit le feuilleton enrage ; le héros du roman s’est marié sans qu’elle l’ait su, dans un des numéros qui se sont égarés.

Ici je demande la permission d’ouvrir une parenthèse. On sait ce qui se passe dans la plupart des villages, à l’arrivée de la malle. Les habitués du bureau de poste s’emparent des journaux et se forment en comité de lecture. Si quelque abonné survient et réclame sa gazette, on lui dit qu’elle n’est point arrivée ; et il s’en va pestant contre la négligence de l’éditeur. Chacun emporte le journal qui lui plaît. Dans tous les cas, les abonnés ne sont servis qu’après les habitués du bureau de poste.

Après l’abonné qui se plaint de ne pas recevoir son journal régulièrement, survient le lecteur assidu qui serait heureux de voir figurer dans les colonnes de « votre estimable feuille » une amplification de son fils, jeune rhétoricien plein d’espérances et de métaphores ; puis, arrive le frondeur de tous les abus, qui voudrait vous voir taper à bras redoublés sur tout le monde : sur le gouvernement, sur la corporation, sur les marguilliers, sur les compagnies de bateaux à vapeur, sur les employés publics, et même sur les passants. Vous lui ouvrez à deux battants les portes du journal ; vous lui mettez la plume à la main et lui donnez permission d’écrire tout ce qu’il dit, pourvu qu’il le signe. Soudain il se calme ; il n’est pas sûr ; il verra ; il s’assurera de la chose ; d’ailleurs, il ne veut pas se compromettre, il n’est pas homme public, lui.