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avoir quelques faiblesses, et sa conduite prouva bientôt qu’on s’était pressé de le mettre en niche comme un saint.

« Un matin, en m’éveillant, je fus fort étonné de ne pas trouver Sauvageol dans la Chambre où l’on avait placé nos deux lits côte à côte. Qu’était-il devenu ? N’ayant obtenu aucun renseignement de la domestique, et ne voulant pas dénoncer à ma mère l’absence de mon ami, je regagnais, triste et seul, le collége, quand, arrivé devant le portail de Saint-Fulcrand je vis tout à coup mon homme se dégager du milieu des contre-forts de la cathédrale et courir à moi, tenant à la main plusieurs petites branches d’osier et un pot aux parois duquel était collée une matière gluante et blanchâtre.

« — Julien, je t’attendais, me dit-il ; veux-tu venir avec moi à l’Escandorgue ?

« — Que faire à l’Escandorgue ?

« — Tendre des gluaux à la Mare-aux-Chardonnerets, près de Grangelourde.

« — Quelle idée t’a donc poussé dans la cervelle, Adrien ? Et le collége ?

« — Il y a si longtemps que nous ne l’avons manqué !

« — Au fait, c’est vrai.

« — J’ai acheté du pain, du fromage, des oignons, ajouta l’impitoyable tentateur, me montrant les poches de sa veste farcies de victuailles.

« — Partons ! dis-je.

« L’Escandorgue fait partie de cette portion des Cévennes méridionales désignée par les géographes sous le nom de monts Garrigues. C’est un vaste plateau graveleux, pauvre de végétation, grisâtre d’aspect et d’une navrante mélancolie. Quelques bouquets d’yeuses, quelques lavandes, quelques genévriers ont seuls poussé dans ces steppes cévénols, éternellement balayés par le vent du nord, et sont l’unique pâture offerte aux innombrables troupeaux qui y campent du jour de l’an à la Saint-Sylvestre.

« En partant de Lodève, plusieurs chemins mènent à ces hautes plaines, aux plos, comme on dit dans le pays. La crainte de nous égarer nous fit prendre le plus long. Nous passâmes par Campestre, et huit heures sonnaient à Saint-Fulcrand comme nous gravissions la roide montée de Lunas. Nous arrivâmes enfin à la Baraque-des-Pous, auberge juchée tout en haut de la côte, en plein Escandorgue. Peu habitué à de pareilles excursions, je demandai à respirer un moment : j’étais rendu de fatigue. Adrien me partagea un morceau de