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Page:Fabre - La Plante (1876).djvu/185

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MOUVEMENTS DES FEUILLES

ferment. Comme le voyage est de longue durée, la plante peu à peu se rassure en quelque sorte, se remet de son émotion, et finit par étaler son feuillage comme si elle était dans un complet repos. Les heurts des roues contre les cailloux, les soubresauts, dont le moindre au début l’aurait commotionnée, restent maintenant sans effet : la sensitive y est habituée. La voiture s’arrête, et l’épanouissement ne s’affirme que mieux. La marche reprend. Nouvelle contraction soudaine du feuillage mais de moindre durée que la première, comme si l’épreuve passée avait aguerri la sensitive contre l’épreuve présente. Enfin le parcours se continue et s’achève avec la plante épanouie en plein.

Certaines substances, telles que l’éther et le chloroforme, ont la propriété d’engourdir la sensibilité, de la suspendre momentanément et de produire ce qu’on nomme l’anesthésie. On utilise cette merveilleuse propriété pour supprimer la douleur dans de graves opérations chirurgicales. Rendu insensible pour quelques minutes, le patient est indifférent au bistouri qui lui taille les chairs. Mettons sous une cloche un oiseau avec une éponge imbibée d’éther. Dans cette atmosphère imprégnée de vapeurs éthérées, l’animal ne tarde pas à être pris d’une torpeur profonde ; bientôt il vacille, il tombe, en apparence mort. Retirons alors l’oiseau de dessous la cloche, car, si cet état se prolongeait trop, le retour à la vie ne serait plus possible. On reconnaît que le cœur lui bat comme d’habitude, que la respiration s’accomplit d’une façon régulière. L’animal est donc en vie, et cependant on peut le pincer, le piquer, le blesser grièvement sans amener le moindre frisson signe de douleur. La vie est là entière, moins la sensibilité. Puis cet état se dissipe comme une ivresse passagère, l’oiseau reprend ses sens, son aptitude à la douleur, et se retrouve enfin ce qu’il était avant l’expérience.

Soumettons la sensitive à une épreuve pareille. Au bout d’un certain temps, bien plus long que pour l’oi-