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RÉCITS DE L’ONCLE PAUL

Paul. — Je n’affirme rien de particulier, je n’ai que des soupçons. Tout ce qui me paraît hors de doute, c’est qu’un tel organe est pour l’animal une source de sensations inconnues à l’homme.

Émile. — Vous en direz tant, mon oncle, que je finirai par trouver le nez du fer-à-cheval bien plus curieux que laid. Il y a une autre chose que j’examine depuis un instant. Pourquoi le fer-à-cheval a-t-il les joues si grosses ? Voyez comme l’image donne à la chauve-souris une tête bouffie.

Paul. — Pour la chauve-souris, la chasse est de courte durée ; elle ne comprend qu’une heure ou deux, enfin le peu de temps compris entre le coucher du soleil et l’obscurité de la nuit. Le reste des vingt-quatre heures se passe au repos, dans la tranquillité de quelque grotte. L’animal ne fera-t-il donc qu’un seul repas dans ce laps de temps ? Et puis manque-t-il de soirées où la chasse est impraticable ? Le ciel est trop obscur, il fait du vent, il pleut, les insectes se cachent. La chauve-souris serait ainsi exposée à de longs jeûnes s’il lui était impossible de faire des provisions. Ces provisions, il faut les amasser à la hâte, au vol, sans discontinuer un moment la chasse, de si courte durée. À cet effet, des sacoches sont indispensables, des sacoches profondes, où le chasseur entasse son gibier à mesure qu’il le saisit. Les joues précisément font cet office : elles peuvent se distendre au gré de la bête, se gonfler, se bouffir en pochettes où s’empilent les insectes tués d’un coup de dent. À ces sacoches de réserve on donne le nom d’abajoues. Les singes gloutons en possèdent. C’est là que la guenon friande met le morceau de sucre qu’on lui donne, et le laisse délicieusement fondre pour le savourer à l’aise. Eh bien, la chauve-souris en chasse commence par satisfaire son appétit ; puis, surtout lorsque son nez, le fameux nez que vous savez, lui prédit pour les jours suivants un temps non propice, elle redouble d’ardeur, amassant papillon sur papillon au fond de ses poches élastiques. Elle rentre au logis les abajoues toutes rebondies. Maintenant, sans crainte de famine, elle peut attendre plusieurs jours s’il le faut. Appendue immobile par une patte de derrière, elle se nourrit de ses conserves alimentaires ; elle grignote un à un, à ses heures d’appétit, les insectes savoureusement amollis dans le réservoir des joues.

Il est plus que temps d’en finir avec les chauves-souris ; leur histoire serait trop longue si je voulais tout dire. Je deman-