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RÉCITS DE L’ONCLE PAUL

l’aspect repoussant de son corps gonflé. Il y réussit. Après l’avoir flairé, la taupe se retourna, rebutée par un invincible dégoût. Ah ! vous ne voulez pas du crapaud, bête goulue ; vous aurez des navets, des choux et des carottes. On lui en servit abondamment. Mais fi des racines ! plutôt périr que manger des navets ! Le jour d’après, la taupe était morte de faim au milieu de ses provisions végétales. Elle avait dédaigné d’y donner le moindre coup de dent.

L’animal expérimenté avait-il des appétits exceptionnels, des manies de goût, pour qu’il préférât se laisser mourir de faim plutôt que de toucher à des aliments de nature végétale ? Pas le moins du monde ; il suivait le régime de tous ceux de sa race. Bien d’autres essais ont été entrepris, tant par Flourens que par d’autres observateurs. Toutes les taupes qu’on a cherché à nourrir avec des substances végétales, pain, salade, choux, racines, herbages quelconques, sont invariablement mortes de faim sans toucher à leurs provisions. Au contraire, on conserve vivantes celles qu’on nourrit de chair crue, de vers, de larves, d’insectes de toute sorte.

Un autre moyen bien simple de décider sans réplique du genre de nourriture, consiste à examiner le contenu de l’estomac des taupes vivant en liberté et prises dans les champs. Tout ce qu’elles mangent, elles doivent l’avoir dans le ventre. Ouvrons l’estomac de la taupe et voyons. Il contient tantôt des tronçons rouges du ver ordinaire ou lombric, tantôt une bouillie de coléoptères, reconnaissables aux débris coriaces que la digestion n’a pas altérés, fragments de pattes et d’élytres ; tantôt et plus souvent une marmelade de larves, de vers blancs surtout ou larves de hanneton, dont on retrouve des signes distinctifs, comme les mandibules et la dure enveloppe du crâne. On y voit un peu de tout gibier hantant le sol, cloportes et mille-pieds, insectes et vers, mans et chrysalides de papillons crépusculaires, chenilles et nymphes souterraines ; mais l’examen le plus attentif ne peut y découvrir un brin, un seul, de matière végétale.

Tous les moyens d’observation nous conduisent donc au même résultat. En dépit des croyances qui peuvent avoir cours, il est certain que la nourriture de la taupe se compose exclusivement de substances animales. Et pourrait-il, je vous prie, en être autrement ? Le contenu de l’estomac serait-il en désaccord avec le râtelier féroce que vous venez de voir ? À