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SUR LES ANIMAUX UTILES À L’AGRICULTURE

au même : il torturait un des meilleurs destructeurs de souris, oiseau par sa structure, chat par ses mœurs. L’effraie s’était introduite dans le grenier pour défendre contre les rats les sacs de blé du pauvre homme, qui, dominé par des haines superstitieuses et ignorant les services rendus, s’est empressé de clouer sur sa porte le précieux oiseau.

Par quel singulier travers d’esprit sommes-nous tous, en général, portés à détruire les animaux qui nous viennent le mieux en aide ? Presque tous nos auxiliaires sont persécutés. Il faut que leur bonne volonté soit bien ferme pour que nos mauvais traitements ne les aient pas à tout jamais éloignés de nos demeures et de nos cultures. Les chauves-souris nous délivrent d’une foule d’ennemis : proscrites ; la taupe et la musaraigne purgent le sol de sa vermine : proscrites ; le hérisson fait la guerre aux vipères, aux vers blancs : proscrit ; la chouette et les divers oiseaux de nuit sont de fins chasseurs de rats : proscrits ; d’autres, dont je vous parlerai plus tard, font pour nous un travail des plus utiles : proscrits, toujours proscrits. Ils sont laids, dit-on ; et sans autre raison, on les tue. Mais, aveugles tueurs, à la fin des fins comprendrez-vous que vous sacrifiez vos propres défenseurs à des répugnances que rien ne motive ? Vous vous plaignez des rats, et vous clouez la chouette sur votre porte, vous laissez sécher au soleil sa carcasse, hideux trophée ! Vous vous plaignez des vers blancs, et vous écrasez la taupe chaque fois que la bêche l’amène au jour ! Vous éventrez le hérisson, vous ameutez contre lui vos chiens, uniquement pour rire. Vous vous plaignez des ravages des teignes et des alucites dans vos greniers, et si la chauve-souris vous tombe sous la main, rarement vous lui faites grâce ! Vous vous plaignez, et tous tant qu’ils sont pour vous défendre, vous les traitez en maudits ! Pauvres aveugles, tueurs bien mal inspirés !

Dans son intérêt seul, Jean vient de faire une pitoyable besogne, plus pitoyable encore eu égard aux souffrances imposées à l’oiseau. Il n’est pas d’un homme, mais d’une brute, de prendre plaisir à torturer un animal. C’est un acte impie, hautement réprouvé par la morale ; l’ignorance l’explique, mais ne peut l’excuser. L’animal serait-il nuisible, débarrassons-nous-en par la mort, mais gardons-nous de jamais songer à susciter d’inutiles douleurs, à faire souffrir dans le seul but de faire souffrir. Ce serait dessécher en nous un