Page:Fabre - Souvenirs entomologiques, première série, 1916.djvu/154

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aucune, au bout de vos doigts, la proie qu’on lui a enlevée et qu’on lui présente ensuite.

Qu’est ceci ? Dédaigneux de mes offres, le Sphex recule au lieu de happer ce que je mets à sa portée. Je replace à terre l’Éphippigère, qui, cette fois, d’un mouvement étourdi, inconscient du danger, va droit à son assassin. Nous y sommes. – Hélas ! non : le Sphex continue à reculer, en vrai poltron ; et finalement s’envole. Je ne l’ai plus revu. Ainsi finit, à ma confusion, une expérience, qui m’avait tant chauffé l’enthousiasme.

Plus tard et peu à peu, à mesure que j’ai visité un plus grand nombre de terriers, j’ai fini par me rendre compte de mon insuccès et du refus obstiné du Sphex. Pour approvisionnement, j’ai toujours trouvé, sans exception aucune, une Éphippigère femelle, recelant dans le ventre une copieuse et succulente grappe d’œufs. C’est là, paraît-il, la victuaille préférée des larves. Or, dans ma course précipitée à travers les vignes, j’avais mis la main sur une Éphippigère de l’autre sexe. C’était un mâle que j’offrais au Sphex. Plus clairvoyant que moi dans cette haute question des vivres, l’Hyménoptère n’avait pas voulu de mon gibier. « Un mâle, c’est bien là le dîner de mes larves ! Et pour qui les prend-on ? » – Quel tact dans ces fins gourmets qui savent différencier les chairs tendres de la femelle, des chairs relativement arides des mâles ! Quelle précision de coup d’œil pour reconnaître à l’instant les deux sexes, pareils de forme et de coloration ! La femelle porte au bout du ventre le sabre, l’oviscapte enfouissant les œufs en terre ; et voilà, peu s’en faut, le seul trait qui, extérieurement, la distingue du mâle. Ce caractère différentiel n’échappe jamais au perspicace Sphex ; et voilà pourquoi, dans mon expérience, l’Hyménoptère se frottait les yeux, profondément ahuri de voir privée de sabre une proie qu’il savait très bien en être pourvue quand il l’avait saisie. Devant pareil changement,