— Nous ne le laisserons pas sortir !
— Je crois que vous ferez bien. Il ne faut jamais laisser sortir du séminaire. Mais à dix-huit ans, du jour où il aura passé son baccalauréat laïque, républicain, démocratique, rationnel, critique et social, le voilà, du jour au lendemain, jeté dans un pays où la presse est libre et où des journaux, des brochures et des livres attaqueront librement et vertement tout ce que vous lui aurez appris à vénérer et à chérir. Ne craignez-vous pas qu’il ne vous échappe ?
— Oh ! nous lui aurons laissé une telle empreinte !
— Oui, les Jésuites se flattent toujours de laisser sur leurs élèves une empreinte ineffaçable. Seulement ils se trompent souvent. Et quand il n’y aurait que le danger terrible de cette transition brusque entre la pure lumière que vous versez et la région mêlée de lumières et d’ombres où à dix-huit ans votre catéchumène va être jeté ! Vous savez assez que le premier soin du jeune émancipé est de lire précisément tous les livres qu’on lui a défendus au collège. Vous avez charge d’âmes ; vous êtes gardiens de l’unité morale du pays. Si cette unité morale vous l’entretenez soigneusement au collège et d’autre part vous la laissez rompre, ruiner et détruire par la liberté de la pensée, de la parole et de la presse, vous n’aurez rien fait du tout, ou vraiment peu de chose, et vous aurez trahi votre mandat.