Page:Faguet - Pour qu’on lise Platon, Boivin.djvu/52

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tent pas et qu’il ne s’agit que d’être forts et qu’il n’y a dans le monde que la force ; — ou, ce qui est plus grave ils sentent assez bien que leurs pratiques mènent à une grande indifférence à l’égard du bien et du mal, mais ils n’en conviennent pas et affectent une modestie qui consiste à dire qu’ils se renferment dans les limites de leur profession, laquelle n’a pour but que d’enseigner à parler et se refusent les hautes spéculations ou les austères apostolats ; se rendant bien compte pourtant qu’on ne sépare pas ainsi impunément les unes des autres les choses qui ont un rapport nécessaire et qu’à ne jamais parler morale, on enseigne tacitement, il est vrai, mais on enseigne très efficacement à n’y pas croire ; — ou enfin ce sont de simples artisans et manouvriers qui montrent leur art comme une routine ; qui sont professeurs de beau langage comme on est coiffeur ou cuisinier ; qui ne voient pas plus loin ; qui ne se doutent même pas qu’entre la rhétorique et la morale il y ait quelque rapport et qu’on étonne en leur disant qu’il y en a ; et dans ce dernier cas les sophistes sont les plus immoralistes des hommes, quoique inconscients et certainement non coupables, parce qu’il leur est comme impossible de ne pas enseigner l’immoralité par leur manière non seulement amorale, mais antimorale, dans le sens que le