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Page:Fargèze - Mémoires amoureux, 1980.djvu/100

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emportant le souvenir de cette belle jeune femme, silencieuse et mélancolique. Les sens allaient me reprendre. Pourquoi ne m’accorderais-je pas avec Agathe ? Je n’en étais plus à lui manifester les sentiments amoureux qui, auparavant, excitaient ma verve lyrique, et sans doute pensait-elle que je ne lui pardonnais pas sa trahison. Elle ne faisait que rarement le service de la salle, se tenait confinée à la cuisine, comme par pénitence. Pourtant sa mère, après l’avoir bien rossée, la laissait tranquille, se considérant comme quitte envers elle de toute surveillance. L’oiseau envolé, à quoi bon la cage ? Tout était donc pour le mieux. Je ne serais que le successeur de Bougret, mais cela m’épargnerait l’amertume de faire honneur au pucelage d’Agathe après avoir ignominieusement accueilli celui d’Hubertine. Sans compter que le conducteur des ponts-et-chaussées tournait autour du pot, ce qui n’était pas sans m’agacer tout de bon.

Ce soir-là, j’arrivai de bonne heure à l’auberge. Maman Lureau me servit un cruchon de vin bourru, puis alla s’asseoir dans un coin de l’arrière-salle, où elle prit son tricot. La porte de la cuisine était entrouverte et j’aperçus Agathe à l’entrée de la cour, que commençait de noyer la nuit. Elle rinçait du linge ; sous prétexte d’uriner, j’y allai, lui dis bonsoir en passant et me tournai vers le mur.

— Bonsoir, Félicien, me répondit-elle d’une voix hésitante, la tête sur son baquet.

— Alors ? On se boude toujours ? insinuai-je en me retournant à demi.

Elle me regarda d’un air peiné.

— Je ne sais que te dire, Félicien. Est-ce moi qui te boude ?

Déjà j’étais contre elle, guidant d’intimes caresses auxquelles elle consentit si spontanément que j’en eus dans l’instant la conclusion. Elle en parut tout heureuse. Je revins boire. Les amis arrivèrent et nous nous mîmes à bavarder, commentant les nouvelles de la campagne d’Orient, opposant notre stratégie à celle de Canrobert. Un peu plus tard, tout le monde se levant pour partir, je