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Page:Fargèze - Mémoires amoureux, 1980.djvu/102

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roulait à sa fantaisie mon jeu surexcité. Agathe se remettait à sangloter, me collant de gros baisers auxquels je répondais en plongeant dans les profondeurs de sa gorge, afin d’échapper à sa face toute en eau. J’aurais volontiers sacrifié ma nuit à ces folâtres luttes, mais je craignais que ma mère ne s’inquiétât, et à onze heures je me retrouvais sur l’échelle, que j’allai replacer contre l’auvent.

Ma convention avec Agathe fut que je la préviendrais de mes visites nocturnes en sifflotant Le Chapeau de la Marguerite ou La Belle Dijonnaise, tandis que je jouais aux cartes avec mes amis. Mais je m’enhardis jusqu’à la joindre dans la cour, l’adossant pour des poussades à la muette. Même, il m’arriva de la visiter de jour, maman Lureau étant absente. Elle fermait l’auberge, et nous montions nous mettre au lit. Les clients pouvaient taper à la porte : on faisait l’amour.

Je voulus chasser, bien qu’on fût à quelques semaines de la fermeture. Mon père me prêta son fusil, sa poire à poudre, sa cartouchière. Ma mère, sur ses économies de ménage, me pourvut de tout l’accoutrement des disciples de saint Hubert, costume de drap couleur amadou, casquette de cuir bouilli, houseaux à tringle, et je payai sur ma bourse personnelle les vingt-cinq francs du permis. J’accompagnai d’excellents chasseurs à travers bois et vignes. Je tirai du lièvre, de la perdrix, et surtout des becfigues, qui foisonnaient cette année-là. Mais si joviaux que fussent mes compagnons, ils étaient d’un âge mal assorti au mien, et je préférais promener solitairement mon humeur bocagère, précédé d’un chien répondant au nom de Furet, jeune braque de bonne race qui battait les buissons. Je musais, chantais, sifflais, et si quelque bête à plume ou à poil venait se placer devant mon fusil, je l’abattais fort proprement, car je ne manquais pas d’adresse. Un matin des premiers jours de janvier, où la bise piquait dur sous un soleil chlorotique, je cheminais du côté de Saint-Jean-de-Losne quand j’aperçus la briqueterie dont m’avait parlé Morizot. Un coquet pavillon clos de murs se dressait un peu en retrait. Un instant je m’arrêtai en pensant à Mme Lorimier, et je m’éloignais quand je vis venir sur