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Page:Fargèze - Mémoires amoureux, 1980.djvu/113

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— Je connais à Beaune un jeune apothicaire qui arrive en droite ligne du Quartier Latin. Allons le voir ensemble.

Nous y allâmes, dans ce même tape-cul qui nous avait menés à Dijon, et que l’agent voyer empruntait à bon compte à un fournisseur de travaux publics. Le pharmacien, un grand barbu rigolo, me fit passer dans son arrière-boutique, m’examina, me versa une première cuillerée de la fameuse potion de Chopart, à l’odeur écœurante, me remit un purgatif, du chiendent à prendre en tisane, une solution de sulfate de zinc, une petite seringue, tout en me racontant des histoires de filles poivrées, du temps qu’il était interne à Loucirne. Il me rassura d’ailleurs complètement.

Morizot m’emmena déjeuner chez un traiteur qui avait de bons vins, et je n’en bus que trop, singulière façon de soigner la chaude-pisse. Après quoi il me laissa pour courir à ses amours, où je n’étais pas à même de l’accompagner. Je le retrouverais deux heures plus tard. Je flânai dans la ville. Soudain, quelles ne furent pas ma surprise et mon émotion de voir, à quelques pas de moi, tenant par la main son petit garçon, Mme Lorimier ! Elle me vit aussi, parut gênée, détourna la tête. Tirant ma casquette, je vins à elle très respectueusement. Elle devança ma parole :

— Monsieur Fargèze, pourquoi ne m’avoir avoué que vous étiez atteint d’un vilain mal ? Pourquoi m’avoir infligé cette déception pénible ?

La foudre éclatant à mes pieds ne m’eût pas plus frappé de stupeur. Ainsi, j’étais déjà contaminé lors de ma seconde rencontre avec elle ! Pétrifié, je la regardais niaisement, cherchant le mot à dire. Je balbutiai cette excuse :

— Je ne savais pas, je vous assure… Je ne savais pas…

— Chacun me connaît ici, et je ne puis causer avec vous dans la rue, reprit-elle. Je fais confiance à votre discrétion. Adieu, monsieur Fargèze.

Des larmes lui perlaient aux yeux. Elle s’éloigna, entraînant l’enfant. Humilié, honteux, je demeurais planté sur place. Elle prit une autre rue, à droite. Je ne devais plus jamais la revoir.