Aller au contenu

Page:Fargèze - Mémoires amoureux, 1980.djvu/118

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
115

Moutin, mais on lui dit Fifine. » Presque aussitôt il s’excusa d’être obligé de partir et nous laissa. Je n’avais guère lieu de lui en savoir gré, car je ne me sentais pas la moindre envie de lier connaissance avec cette demoiselle. Aussi restai-je coi, les regards immobilisés sur mon verre. Elle alors, après un moment, prit le parti de se retirer, non sans m’adresser poliment un au revoir.

Au bureau, Poirier ne fit même pas allusion à cette présentation singulière. En revanche il me parla femmes, putains de la ville, cherchant à savoir si j’étais quelque peu dégourdi. Je lui fis des réponses évasives, sur un ton d’indifférence. Il dut me croire en état d’innocence et changea bientôt de conversation.

Cependant je commençais à trouver longue ma trêve de sagesse, et je m’en tourmentais d’autant plus que je continuais d’ignorer le Dijon de la putasserie, quoi qu’en pensât le crédule Morizot. Je rencontrai sa Delphine, précisément. Elle me reconnut, me dit qu’elle s’était mise en ménage avec un employé de la mairie. Elle en avait eu un enfant et ne voulait plus faire l’amour avec d’autres. Je n’osai lui parler de Sidonie. Sidonie ! La revoir m’eût bien déçu, sans doute, mais longtemps, j’ai cherché, je l’avoue, sans parvenir à la retrouver, la ruelle où, sur un lit loqueteux, j’avais laissé mon pucelage.

Je déambulais par les rues. Je passais de longues heures dans les débits. J’étais attablé, un soir, près du Château-d’Eau, dans un bal à cinq sous dont les garçons de la poste aux chevaux étaient les joyeux clients, quand j’aperçus la dénommée Fifine, qui hésitait à s’approcher. Je me sentais si seul que je lui fis un signe d’appel, toute minable et laideron qu’elle fût. Elle accourut, s’assit, me demanda comment j’allais, accepta un verre de limonade et se mit à me raconter volubilement, comme à une vieille connaissance, les faits de toute sa journée, les commissions dont l’avait chargée sa mère, sa visite à sa sœur, à l’hospice Sainte-Anne, et ce que lui avait dit le juge de paix pour qu’elle fût payée par un patron qui lui redevait vingt et des francs. Elle était — mais je ne le sus qu’ensuite — ravaudeuse aux gages d’un fournisseur de