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Page:Fargèze - Mémoires amoureux, 1980.djvu/128

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— J’irais peut-être à Paris si le fils m’accompagnait, hasarda-t-il.

Ô bonheur ! L’administrateur accepta d’emblée et nous pria de prendre immédiatement nos dispositions de départ. Au remboursement de nos frais s’ajouterait une somme de deux cent cinquante francs, honoraires coquets de l’expertise.

J’allais voir Paris ! Nous fîmes nos paquets. Je me renseignai sur les heures du chemin de fer. Nous logerions chez un ancien pénichien, Buizard, qui tenait sur le quai des Grands-Augustins, au coin de la rue Dauphine, un hôtel à l’enseigne des « Amis de la Marine ». Nous partîmes le lundi 14 avril. Ayant pris à Auxonne le train de dix heures du matin, qui nous conduisit à Dijon, nous arrivions à huit heures du soir au débarcadère parisien de la Compagnie du Chemin de fer de Lyon.

Je me souviendrai toujours de ce premier contact avec la capitale. Il pleuvait. Un brouillard jaunâtre revêtait toutes choses. Nous nous trouvions, mon père et moi, dans une sorte de cave à ciel ouvert, au sol enduit d’une fange noire et gluante. Poussés, bousculés, nous suivions la foule des voyageurs, et bientôt nous étions dans la rue, sous l’averse. Il nous fallait un fiacre. Où le prendre ? Les gens que nous interrogions répondaient par un geste vague. Plantés sur le pavé depuis un grand quart d’heure, trempés, grelottants, nous ne savions à quoi nous résoudre quand un gardien de la paix passa, qui nous conduisit à une station de voitures, boulevard Mazas. Un cocher de la Compagnie impériale y somnolait. Pour un franc et sept sous, il nous mena quai des Grands-Augustins, à travers des rues guère mieux éclairées que celles de Dijon, et plus sales. L’hôtel « Aux Amis de la Marine » était une masure à la façade rongée, que désignait une lanterne représentant, peints sur la vitre, deux joyeux mariniers, le verre en main.

Buizard, gros Bourguignon de belle humeur, nous reçut en ami, nous donna une chambre très propre, dont la fenêtre s’ouvrait sur la rue. Nous dînâmes à la table de famille, avec le patron, la patronne, sa fille, plus une demi-