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Page:Fargèze - Mémoires amoureux, 1980.djvu/129

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douzaine de mariniers. Nous étions en pays de connaissance.

Fatigués, nous ne songions qu’à dormir. Mais je restai un long moment les yeux collés à la fenêtre. Paris ! La rue Dauphine ! Je voyais se mouvoir quantité de parapluies. Allaient et venaient deux raccrocheuses, au coin du quai. Elles accostaient, reprenaient leur marche. Sur ce tableau d’une rue parisienne la pluie versait ses larmes de désolation.

Quand je me réveillai, auprès de mon père qui ronflait sous son bonnet de coton, une aube terne visitait la chambre. Il pleuvait toujours. Habillé de frais, je descendis, vins sur le seuil de l’hôtel. Il n’était que sept heures. Que de voitures, déjà ! Les gens, eût-on dit, circulaient sous les roues, sans en prendre souci. C’étaient des ouvriers, des marchands, des commis, des ménagères tenant leur cabas. Deux jolies filles, bras à bras, me dévisagèrent, chuchotèrent je ne sais quoi, éclatèrent de rire, prirent leur trot comme des folles. Ce que je voyais là, devant moi, ce décor étranger, ce mouvement inconnu, c’était Paris. Paris ! Mais la pluie, cette pluie, qu’elle était triste !

J’appelai mon père et Buizard arrosa de mêlé-cassis notre réveil. Tout fier de diriger nos premiers pas dans la grande cité, il voulut bien nous accompagner jusqu’au port de l’Exposition, aménagé à proximité du Palais de l’industrie, où il nous quitta, nous laissant à notre examen des bateaux qui s’y trouvaient rassemblés. À midi, seuls cette fois, nous reprîmes le chemin de la rue Dauphine. Nous ne pouvions nous égarer, n’ayant qu’à traverser la Seine, et pourtant nous nous égarâmes dès les premiers pas, descendant la rivière au lieu de la remonter. À deux heures nous retournions aux bateaux, que mon père se proposait d’étudier un à un. Parés pour une exhibition, les plus beaux révélaient des tares sérieuses, alors que d’autres, d’un aspect médiocre, se recommandaient à un œil averti. Mon père me communiquait ses observations et je prenais des notes. La révision de ces écritures occupa toute notre matinée du lendemain.

La pluie venant enfin de céder au soleil, Buizard décida qu’après déjeuner nous irions en promenade. Ce qu’il