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Page:Fargèze - Mémoires amoureux, 1980.djvu/133

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Fifine et son petit derrière, mais je reculais devant l’obligation d’avouer si pauvre intrigue à Morizot. Je me résignais donc à ma prison de Saint-Brice, où tout au moins je disposais de ma grosse Agathe. Je ne dissimulais plus rien de mes rapports avec elle. D’un clin d’œil je la prévenais, ou d’un sifflotement. Elle se rendait, moi la suivant, à la cuisine ou dans la cour, prête au service et prenant posture. Quelquefois, de bon matin, je la surprenais dans son lit, roulée, beurrée sous les draps tièdes. La mère Lureau m’entendait monter, s’éloignait et ne reparaissait plus.

De me voir mener une telle vie de basse gouape, mes parents se désolaient, sans trop m’adresser de reproches. Qu’auraient-ils pu me dire ? Je les aimais de tout mon cœur. J’étais d’une correction filiale irréprochable. Je savais, quand il le fallait, donner le coup de collier qui, au bureau, faisait l’admiration des clients. Ils n’en souffraient pas moins de constater que mon avenir pourrissait dans sa fleur, et j’en souffrais trop moi-même pour qu’il me fût possible de les rassurer. Le pressentiment d’une séparation prochaine, définitive, créait entre nous un sourd malaise. La joie ne connaissait plus le chemin de notre maison. Je sortais avec mon chien en me proposant d’aller à travers bois, et puis je revenais après un instant, le front las, non sans avoir fait passer ma maussaderie sur le pauvre animal. Je lisais, et les premières pages lues, j’envoyais promener le livre. Confidences, de Lamartine, romans de George Sand, d’Émile Souvestre, de Gérard de Nerval. J’ébauchais des poèmes, parfois assez joliment venus, dont je déchirais le manuscrit avant que l’encre en fût sèche.

Vint le jour du tirage au sort. Je fus à Saint-Jean-de-Losne, où je pris part aux bruyantes réjouissances des conscrits. Je coiffai le haut chapeau de soie à longs poils, d’où cascadait un flot de rubans tricolores. Les gars de Saint-Brice, qui me connaissaient bien, se montraient fiers de moi. Je tirai de la boîte le numéro 169, qui était bon, et je l’épinglai à mon couvre-chef en manière de cocarde. On me remit un certificat de libération. Le sieur Fargèze, Félicien, inscrit au tableau de recensement