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Page:Fargèze - Mémoires amoureux, 1980.djvu/136

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femme : « Monsieur Fargèze ! » Quelle ne fut pas ma surprise de reconnaître Fifine, qui sautillait au-delà de la barrière. Fifine ! J’étais à cent lieues de penser à elle, dont je n’avais pas eu de nouvelles depuis dix-huit mois. Elle n’avait pas changé, toujours maigre et proprette, les cheveux bien ratissés sous la résille. Elle ne semblait nullement étonnée de me voir.

— Toi ici, Fifine ? Et comment vas-tu ?

— Je vais bien, merci. Et vous ?

Je passai la barrière. Nous nous serrâmes les mains, en amis. Aussitôt, et comme si notre séparation eût été de la veille, elle me raconta mille et mille histoires avec sa coutumière volubilité. Elle avait eu un tablier déchiré par un clou de cette barrière, l’autre jour ; elle avait bien manqué d’aller à une foire du voisinage où l’on devait tirer un feu d’artifice ; les soldats d’Orient étant revenus couverts de poux, on brûlait leurs guenilles en dehors de la ville ; on venait de vider le canal, et le poisson avait été pour rien au marché. Elle me dit aussi que Poirier, pris par les reins, était depuis janvier à l’hôpital.

Je lui offris d’entrer chez un marchand de vins, et ce fut elle qui, tout en babillant, me dirigea vers un débit, rue du Débarcadère, où nous nous assîmes devant une bouteille de rouge. Je disposais de plus de deux heures avant le départ du train. Ne pouvions-nous aller faire l’amour dans quelque garni ? Je lui proposai et elle accepta joyeusement.

— Vous n’avez qu’à venir dans ma chambre. Elle est belle, ma chambre. C’est ici, dans la maison.

Cela simplifiait tout. Je l’accompagnai au premier étage, où elle entra dans une grande pièce dont un lit à rideaux occupait un coin. Mais il y avait quelqu’un, dans ce lit, une très jeune fille, charmante tête blonde qu’éclairaient de grands yeux bleus. Je m’arrêtai, tout interdit, interrogeant muettement Fifine.

— Elle s’est mise au lit de bonne heure, parce qu’elle a dansé toute la nuit, se borna-t-elle à me dire.

Et, m’amenant auprès du chevet :

— Lolotte, dis-lui bonjour.