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Page:Fargèze - Mémoires amoureux, 1980.djvu/139

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souvenir, un louis de dix francs tout neuf, cadeau de ma mère.

Elle n’avait pas refermé la porte qu’une étreinte me soudait à Lolotte, que je pus investir enfin tout à mon aise. Mais comme je goûtais le bonheur de la tenir expirante, l’heure fuyait et je devais renoncer au train du matin, reporter à l’après-midi un départ qui ne me préoccupait plus. Je m’abandonnais à cette merveilleuse fortune. Je contemplais Lolotte sans pouvoir me détacher d’elle. La tête renversée sur l’oreiller, elle me disait : « Cela me peine que vous vous en alliez. Emmenez-moi. » Je sus qu’elle s’appelait Charlotte Prieur. Elle était depuis trois mois dans sa dix-huitième année. Battue par sa mère, elle travaillait à de la broderie, lorsqu’elle travaillait. « Emmenez-moi, répétait-elle, emmenez-moi. » Petite Lolotte ! Je lui donnai des sous pour qu’elle descendît acheter notre déjeuner. Elle dressa la table. À midi reparut Fifine, qui ne s’étonna pas de me revoir. Mais sitôt après le repas, et Fifine repartie, nous nous recouchâmes. Trois heures sonnaient quand je m’accordai quelque répit. Je décidai de prendre le train de cinq heures. Auparavant, j’irais faire un tour en ville. Lolotte m’accompagnerait et je la prierais de choisir dans une boutique le cadeau qui lui plairait le mieux.

— Emmenez-moi, je serai sage, continuait-elle à dire. Emmenez-moi !

Après tout, pourquoi ne l’emmènerais-je pas ? Je lui louerais une chambre, je la verrais chaque jour, je la promènerais sur les boulevards, nous irions ensemble dans les théâtres. Je cacherais cette liaison à Maillefeu et aux Buizard, et mes parents n’en sauraient rien. Ma bourse était amplement garnie. En dehors de ma mensualité de quatre-vingt-dix francs, j’avais reçu six louis de mon père, quinze écus de ma mère — en cachette — et je disposais d’économies dépassant soixante francs. Je réfléchissais à cela sur la poitrine satinée de Lolotte. Oui, pourquoi ne l’emmènerais-je pas ?

— Je t’emmène, lui dis-je. As-tu ce qu’il te faut pour partir ?