Aller au contenu

Page:Fargèze - Mémoires amoureux, 1980.djvu/140

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
137

Elle battit des mains, m’embrassa. « Je ne tiendrai pas beaucoup de place. Je vous aimerai bien. » Elle n’avait ici que deux chemises, deux paires de bas, un caraco, un mantelet de ville, des bottines fines, le tout en bon état, plutôt coquet. Mais pas de chapeau. Je lui en achèterais un, puis un sac de nuit, quelques autres petites choses. Nous partirions par le dernier train du soir, celui que j’aurais dû prendre la veille. Nous dînerions avec Fifine, bien entendu. Que dirait-elle de cela, Fifine ?

Lolotte me prodiguait de tendres promesses. « Je serai votre petite femme. Je ne vous ferai pas de misères. » À six heures Fifine arriva et je lui dis notre projet. Elle n’en manifesta ni étonnement ni dépit. « Emmenez-la, pardi. Si ça ne va pas, elle en sera quitte pour revenir. » Elle s’offrit à préparer le dîner pendant que nous ferions nos emplettes. Nous voilà donc sortis, Lolotte et moi. Dans la rue, bras à bras, comme deux galants, nous regardions les boutiques. Nous arrivions à la porte Guillaume lorsque Lolotte jeta un cri : « Ma mère ! » Elle se dégagea de moi, partit au galop, et je vis une femme courir après elle, l’atteindre, crier, frapper, prendre à témoin les passants. Ensuite il n’y eut plus rien. Les passants s’étaient dispersés, Lolotte et sa mère ayant disparu. Lolotte avait-elle pu fuir ? J’attendis en vain quelque temps et, désolé, je retournai chez Fifine qui, m’ayant écouté, s’amusa de l’histoire et me rassura.

— Elle va revenir. Elle se fait souvent prendre et toujours elle s’échappe. Sa mère ne sait pas qu’elle loge ici.

Cependant, comme à huit heures elle n’était pas là, Fifine mit le couvert et nous dînâmes sans gaîté, n’échangeant que quelques paroles. « Elle va revenir », persistait à dire Fifine, et j’attendais. Jusqu’après dix heures nous veillâmes à la fenêtre. Le train du soir partit. À minuit enfin, aucun espoir n’étant plus permis, Fifine se coucha et je m’étendis à ses côtés.

Mais le repos que je souhaitais me fut refusé par elle, qui se fit câline et frôleuse. D’abord j’eus l’impression qu’elle se contenait pour ne pas pleurer, cachant sa figure. Jalouse ? Je n’eus pas le temps d’en décider, car déjà