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Page:Fargèze - Mémoires amoureux, 1980.djvu/147

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Il vint des filles, servantes de maisons bourgeoises ou de boutiques. Elles entraient, bavardaient avec mes deux collègues en me dévisageant à la dérobée. J’en distinguai une, assez attrayante blonde, aux appas solides. Poulard la pelotait, mais elle se refusait à ses propositions : « J’accepterais peut-être si vous étiez jeune comme monsieur. » Elle me souriait et nous fûmes prompts à faire plus intime connaissance, dans le réduit même, exigu et malodorant, où forniquait l’ardent Poulard. Le vieil amateur du beau sexe s’en allait déjeuner à onze heures et n’en revenait qu’à midi. Entre-temps je pouvais disposer du local. « Piano ! Piano, la jeunesse ! Ne démolissez pas la baraque ! » me cria Batiot qui nous y avait vus pénétrer. C’était une certaine Ludivine, qui servait chez un huissier de la Grande-Rue, maître Raffard. Elle s’en retourna contente et je n’eus pas à l’en prier pour qu’elle revînt presque chaque jour.

Ces premières semaines, ces premiers mois de Paris, j’en ai gardé le souvenir précis, intact : un enchantement. Je me souviens de m’être mêlé, en juillet, à la foule en larmes qui suivait le convoi funèbre du chansonnier Béranger. Je flânais au hasard et, le soir, je sacrifiais mes trente sous aux théâtres que me signalait Maillefeu. Je m’offris les Ombres chinoises chez Séraphin. Boulevard du Temple, je connus le Petit Lazari, les Funambules, les Délassements Comiques. J’applaudis Arban aux Concerts de Paris. Au Cirque de l’Impératrice, je vis le fameux singe que présentait le clown Boswell. Le joyeux répertoire des Bouffes-Parisiens me fut révélé par l’inénarrable Demoiselle en loterie, qui faisait salle comble. Un soir qu’aux Folies-Dramatiques je me régalais de la revue En avant, marche ! je fus témoin d’une scène bien parisienne : tout le public, debout, saluant d’une ovation Mlle Déjazet qui, dans une loge, assistait au spectacle avec son fils.

Six mois passèrent comme dans un rêve. C’est alors que je résolus de quitter les « Amis de la Marine », sous prétexte de me rapprocher du bureau, mais en réalité pour me rendre plus libre. Au numéro 7 du Chemin de ronde allant de la barrière de Clichy à celle de Monceau, le