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Page:Fargèze - Mémoires amoureux, 1980.djvu/149

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explosions avait entièrement dévêtue, de la poitrine aux cuisses, arrachant la crinoline. Évanouie seulement, elle gisait dans une voiture de la Cour. Je la soulevai avec précautions, non sans tirer de l’œil sur la blancheur d’un ventre buissonné de blond, cependant que mes mains soupesaient un fort monticule glacé, la masse inerte des fesses nues.

Le Carnaval débutait mal avec cet événement. La promenade même du Bœuf gras — il s’appelait Léviathan — s’en ressentit et ne déclencha pas l’habituelle grasse liesse populaire. Cependant le gouvernement fit l’impossible pour réagir contre un sentiment de malaise que des centaines d’arrestations ne contribuaient guère à dissiper. Les mascarades furent encouragées, subventionnées, si bien qu’ouvriers et bourgeois cessèrent de bouder contre cette joie carnavalesque à laquelle étaient attachées tant de gaillardes traditions parisiennes. Bacchanales et saturnales se déchaînèrent aussitôt sur Paris et ses faubourgs.

J’avais entendu parler bien souvent de cette folie ahurissante, dont les premiers grelots tintaient dès l’Épiphanie et qui allait croissant jusqu’après le Mardi-Gras, s’interrompant alors pour reprendre et se clore à la Mi-Carême. Mais l’idée que je m’en pouvais faire n’était qu’approximative, et je ne crois d’ailleurs pas qu’une description, si évocatrice soit-elle, puisse donner de cette orgie pascale une impression véritablement à l’échelle de la réalité. Qu’on imagine les rues et boulevards livrés aux chicards, flambards, balochards, à une chienlit que tous les bals, tous les cabarets, vomissaient comme autant de gueules de l’enfer. D’un enfer bon enfant, mais qui n’en troublait pas moins le repos des philistins insensibles au rythme épileptique de la « Chaloupe amoureuse » ou du « Hanneton en goguette ». Que l’employé négligeât son bureau, l’étudiant son cours ; qu’il y eût moins de commis dans les boutiques, d’artisans sur les chantiers, l’excuse du Carnaval expliquait et justifiait ces carences excessives. Cela durait six semaines, que la grisette vivait dans une ivresse bruyante et sautante, sans se soucier de la misère qu’elle