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Page:Fargèze - Mémoires amoureux, 1980.djvu/159

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en lui déclarant que je n’avais pas l’intention de retourner à l’Ambigu. Il gesticula, disant qu’il avait mieux à me proposer, et je consentis à le suivre au café du « Cadran Bleu », boulevard du Temple, où se pressaient des gens qui devaient être de théâtre, à en juger par leurs faces glabres et leurs mantelets, à la Talma. D’abord il se présenta : Tiborne, dit Titi, artiste, et je n’hésitai pas à lui donner mon nom, en le faisant suivre de cette qualité sommaire, mais suffisante : employé. Assis, la table lui arrivant aux épaules, il était vraiment simiesque. Il se frottait les mains, grimaçait, saluait à droite et à gauche des visages qui ne lui rendaient point la politesse, détail qui ne fut pas sans me frapper. Il commanda deux verres de bière et me débita son boniment.

Voilà : je lui plaisais ; il voulait faire de moi un régulier de sa troupe, car il n’avait pas que la claque de l’Ambigu. Il embauchait pour la figuration de plusieurs théâtres du boulevard, la Porte-Saint-Martin, les Délassements Comiques, les Folies-Nouvelles, où il ne tenait qu’à moi de paraître avec avantage. Il suffisait que je fusse libre le soir. En me distrayant, je gagnerais trente sous pour commencer, puis quarante. On m’expliquerait sur place mon emploi de figurant.

Une telle proposition ne pouvait que m’agréer, la solitude de mes soirées étant assez monotone. Aussi acceptai-je avec un empressement dont je témoignai en faisant remplir les verres. Il détacha d’une souche un billet qui devait, dans l’après-midi du lendemain, me permettre d’être reçu par le régisseur de la Porte-Saint-Martin, où l’on préparait, à grands frais de décors et de costumes, la reprise du fameux drame de Dennery et Grangé, les Bohémiens de Paris, avec Dumaine et Colbrin, et pour les débuts de Laurent, le comique cher au public du boulevard. La première en devait avoir lieu le samedi 15 mai.

Je quittai mon bossu tandis qu’il renouvelait de côté et d’autre ses salutations vaines. Il s’en allait, quand un coup de pied au cul que lui décocha un des buveurs en Talma l’envoya rouler sous une table. Je le vis se relever tout