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Page:Fargèze - Mémoires amoureux, 1980.djvu/161

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Nous étions payés chaque soir. J’étais inscrit pour trente sous, mais on m’en retenait cinq, représentant la commission prélevée par Titi. J’en recevais quarante après trois semaines. Je me fatiguai vite de cet emploi, qui m’obligeait à changer quatre fois de costume dans la même soirée, et, le douzième jour venu, je le dis au bossu, qui, m’ayant répondu, tout mielleux, qu’il songeait à me pourvoir d’autre chose, me rejoignit le lendemain en m’annonçant qu’il disposait pour moi d’une figuration brillante à l’Hippodrome. Il s’agissait de la féerie annoncée depuis quelque temps, La Guerre des Indes en 179., épopée militaire à grand spectacle, qui devait comprendre plus de mille figurants. Titi était accompagné d’un remplaçant qu’il fit agréer séance tenante, et il m’emmena. Un omnibus nous conduisit vers les hauteurs de Chaillot, près de la barrière de l’Étoile, où se carrait l’immense cirque. Le régisseur était un tout jeune homme à barbe ronde, très élégant, qui exigeait de ses figurants, pour les cortèges de cette féerie, une intelligence de leur rôle qu’il ne rencontrait pas dans le recrutement ordinaire, surtout chez les troupiers. Déjà Titi lui avait amené un garçon de l’établissement des Bains Chinois et un clerc d’avoué. J’étais le troisième. Il lui en fallait quatre-vingts pour encadrer les autres, et il lui en manquait encore une trentaine. Il me fit un accueil aimable, prit mon nom et mon adresse, me dit que c’était entendu, que je toucherais trente sous nets pour ne paraître que quelques instants, les répétitions préliminaires étant payées. Puis il me serra la main et me remit un cigare. Il ne s’occupait aucunement du bossu.

Celui-ci, alors, ouvrant une porte, me dirigea vers une vaste galerie ensablée où se tenait la troupe entière des figurants, menant grand et joyeux tapage. Les uns se livraient à la lutte, d’autres faisaient de la gymnastique, trapèze, anneaux, agrès de toutes sortes étant aménagés là. D’autres encore remuaient des poids et des haltères. Le jour même, revêtu d’un costume bizarre qui tenait du Chinois et de l’Hindou, je participai à une répétition, et il en fut ainsi huit jours de suite. Les représentations commencèrent devant un amphithéâtre chaque soir comble.