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Page:Fargèze - Mémoires amoureux, 1980.djvu/162

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On en parlait beaucoup dans Paris et le succès en fut éclatant.

Je n’étais pas sans me plaire dans ce milieu, moins clos que celui d’un théâtre. Dès que j’arrivais dans la galerie, qui était à la fois vestiaire et magasin de costumes, je m’emparais du trapèze et des anneaux, mais surtout des haltères, qui pesaient dans les soixante à quatre-vingts livres. Je fus bien aise de constater qu’après une année de Paris je gardais intacte ma belle force, dont j’étais fier sans en faire parade. Mes camarades figurants en furent ébahis. Aucun de ces hommes, tous en pleine vigueur de l’âge, n’était capable de soulever, en faisant effort, les poids avec lesquels j’avais l’air de jouer, tant je m’y étais entraîné à Saint-Brice. Un jour que je m’amusais ainsi, vingt admirateurs faisaient cercle, je vis à l’arrière Titi, qui applaudissait, ses petites mains de chef de claque battant ferme. Quand j’eus fini, il me félicita. Il rayonnait ; il tendait ses bras vers moi comme pour m’embrasser. Je ne savais de lui rien de plus qu’au premier jour. Une fois, un marque mal à moitié ivre, que je sus être un marchand de billets, l’avait entrepris furieusement, le secouant comme un prunier, l’obligeant à déguerpir. « Ce sale maquereau de sa sœur ! Cet enculé ! » gueulait-il. Mais peu m’importait, étant donné que je n’aurais bientôt plus à le connaître. Les représentations de l’Hippodrome allaient prendre fin, la chaleur de juin devenant insupportable, et j’étais bien décidé à ne pas reprendre du service dans la figuration.

C’est ce que je répondis au bossu, qui m’écrivit en m’invitant à venir le voir, me rappelant qu’il se tenait habituellement sur le boulevard, devant l’Ambigu. Mais, à quelques jours de là, un matin, alors que je m’apprêtais à quitter ma chambre, on frappa à ma porte. Ce ne pouvait être Ludivine, car j’avais cessé de recevoir cette garce de petite bonne qui, roulant avec tout le monde, m’avait salement emmorpionné. C’était Titi, que je reçus assez fraîchement. Je venais d’apprendre que ce pauvre Maillefeu, dont la maladie faisait des progrès effrayants, avait été admis à l’Hôtel-Dieu, et je me disposais à l’aller voir. Je