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Page:Fargèze - Mémoires amoureux, 1980.djvu/165

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sous moi, avant que j’eusse eu le temps de m’y reconnaître. Je pris le parti de m’abandonner, et en peu de minutes elle me donna toutes les preuves possibles de son savoir-faire. Mais si cette première fois elle m’avait eu quasi de force, je sus, l’entreprenant à mon tour, lui prouver que je n’étais pas tout à fait un novice. Quelque chose d’elle m’intrigua, pourtant : ses vagissements et ses torsions, elle les outrait comme font les filles. En serait-elle une ? Cette arrière-pensée ne me gâta point le savant travail d’un corps bien construit, que des appas presque exubérants ne déparaient en rien dans un lit, au contraire. Mais qu’était-elle, cette bouillante Anaïs ? Elle et son frère, qu’étaient-ils ? Il faudrait bien que je finisse par le savoir.

Ensuite, assis à côté d’elle, en bras de chemise, je commençai, pour mon initiation, de copier un vaudeville en quatre actes mêlés de couplets, La Bavarde ou les Sept Péchés capitaux, par Gontrand Suiffard, auteur du Diable en diligence. Ronde écriture pour les titres et les noms des personnages, bâtarde pour les indications scéniques, anglaise, pour le texte, lequel était émaillé de fautes d’orthographe. Elle travaillait sur un autre manuscrit et l’on n’eût pas dit qu’entre nous venait de s’établir l’intimité des sexes. À peine l’amenai-je à quelques fausses confidences. Elle se donna vingt-sept ans. (Elle en avait trente-deux et Titi quarante.) Elle ne sortait guère, s’occupait du ménage. Elle renonçait à se marier, ne voulant pas quitter son frère. J’écrivais tout en l’interrogeant par instants, et j’avais écrit ainsi tout le premier acte de La Bavarde quand, tirant ma montre — la montre que je tenais de Claire Fosson — je vis qu’il était six heures et parlai de m’en aller. Aussitôt elle glissa sur mes genoux, me pelota, fit si bien qu’en rester là me devenait impossible. Mais Titi ne pouvait-il survenir ? « Ne t’inquiète pas de Titi, mon céri », me dit-elle avec une sereine assurance. Elle fut fougueuse et, la demie de six heures passée, je pris enfin congé d’elle. J’emportais le manuscrit du vaudeville, que j’achèverais de copier chez moi.

Je le lui rapportai le lendemain, avec la copie, impeccable. Ce fut Titi qui me reçut, manifestant une joie excessive,