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Page:Fargèze - Mémoires amoureux, 1980.djvu/167

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me dit apprécier mon écriture. Confiant et familier, il me révéla l’une de ses ressources les moins avouables, qui consistait en chansons et épigrammes qu’on lui commandait et qu’il composait lui-même, car il était poète — poète ! — épigrammes et chansons circulant secrètement dans les milieux interlopes où fréquentaient des bourgeois candides, glorieux d’y approcher les comédiennes de petites scènes, les chanteuses de bouis-bouis qui pullulaient aux abords du boulevard du Temple. Quand il sut que je me piquais de versifier ; quand je lui eus débité quelques-uns des poèmes que j’avais commis à Saint-Brice pour mon public de l’auberge Lureau, il admira, cria que notre fortune était faite, Anaïs admirant et criant avec lui. Leurs flatteries coalisées m’amenèrent à leur donner sans tarder un échantillon de mon savoir-faire. Documenté par Titi sur le cocuage d’un certain Michaud qu’il s’agissait d’édifier quant à la vertu de son épouse, j’improvisai une ballade où, en finale de quatre strophes, revenait comme un refrain ce distique : « Oh ! que d’heureux tu fais sans le savoir, Michaud — Car le cul de ta femme est un cul d’artichaut ! » Je m’accuse en toute contrition d’avoir commis cela, mais je tiens à dire que j’opposai un refus énergique au bossu qui, enthousiasmé, insistait pour me payer d’un écu cette vilenie. Je lui déclarai que je ne mangeais pas d’un tel pain, et il eut le bon goût de ne pas insister.

Drôle de bonhomme, ce Titi ! Il ne m’inquiétait pas outre mesure, cependant, puisque j’en arrivais à le rejoindre le soir, à la sortie des théâtres, à me montrer avec lui dans les estaminets des faubourgs Saint-Denis et Saint-Martin. Il paradait auprès de moi, et, s’y jugeant en sûreté, se redressait, regardait hardiment autour de lui. Il semblait dire : « Venez-y donc, à présent », et tout ainsi s’éclaira dans mon esprit, son empressement à mon égard, la maquerelle astuce qu’il avait déployée pour m’attirer chez lui, m’y garder, faire de moi le porte-respect que son infirmité humiliée souhaitait d’avoir. Cela m’amusa, bien loin de m’indigner. Un soir, à ce café du « Cadran Bleu » où je l’avais vu recevoir un rude coup de botte, un volumineux