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Page:Fargèze - Mémoires amoureux, 1980.djvu/169

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qui me firent l’honneur, dont je me serais bien passé, de m’admirer sur la réputation que m’avaient faite mes co-figurants de l’Hippodrome, entre lesquels un acrobate sans emploi, gentil garçon qu’on appelait Grimsel et que je revoyais là. Ma jeune inconscience ne me prémunissait pas assez contre ces compromissions quotidiennes. Je poussai l’aveuglement jusqu’à prier Anaïs d’être des nôtres, pensant par là lui être agréable. Elle s’excusa, invoquant la fatigue, après ses occupations de la journée. Elle sortait rarement le soir ; elle me remerciait, mais se dérobait. Je renouvelai ma prière en présence de Titi. Elle l’interrogea des yeux et accepta. Le jour même et plusieurs autres fois elle sortit avec nous, notre trio ne passant inaperçu nulle part. On nous vit chez Léonard, où venait régulièrement Paul de Kock, le romancier de la gaîté française, qui habitait dans la maison voisine. Anaïs était mise avec une coquetterie du meilleur ton, qui faisait valoir son buste élancé et ses traits de médaille antique. Elle buvait volontiers et je vis même qu’elle aimait boire. Je lui trouvai l’air triste et préoccupé.

Deux fois par semaine je me rendais à l’Hôtel-Dieu, où Maillefeu s’éteignait, quoi qu’on fît pour améliorer son état. Des hémorragies l’avaient épuisé. Il n’était plus qu’un spectre. Je me rencontrais à son chevet avec Jeanine, sa femme, qui lui amenait leur petit Germain, un poupon de treize mois, mignon et plein de vie. Sa fin fut douce, tant il était faible, et j’ai la conviction qu’il ne la pressentit pas. Il se sentait mieux, voulait se lever, quitter l’hôpital. La mort l’emporta dans la première semaine d’octobre, et j’en eus beaucoup de peine. Je perdais en lui un sincère ami. Pauvre Maillefeu ! Pauvre Jeanine !

Je continuais à me compromettre dans la société de Titi, mais je lisais trop dans son jeu pour condescendre à le venger des raclées qui étaient le lot courant de son existence. Il arriva néanmoins ce qui devait arriver. Une nuit, dans un bastringue du faubourg Saint-Denis, je me trouvai mêlé, sans l’avoir voulu, à une dispute qui finit en batterie sauvage, marchands de contremarques et marlous se lançant à la tête des chaises et des bouteilles. Je dus