Aller au contenu

Page:Fargèze - Mémoires amoureux, 1980.djvu/170

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
167

manœuvrer des poings pour me dégager. Je vis briller des couteaux et le sang coula. Des sergents de ville étant accourus, tout le monde, moi compris, fut emmené chez le commissaire. Je n’en sortis qu’au petit jour, après avoir subi un sévère interrogatoire. On enquêta sur moi, et je sus par une lettre alarmée de mon père que l’enquête parisienne avait eu son prolongement à Saint-Brice, les gendarmes de Saint-Jean-de-Losne étant venus à la maison. Je dus télégraphier pour faire cesser l’alarme paternelle. J’écrivis ensuite afin de me justifier, mais une nouvelle lettre me fit réponse, pleine de questions sur l’existence que je menais à Paris, et qui se terminait par un affectueux appel à mes sentiments filiaux. « Songe, mon cher Félicien, que depuis seize mois nous sommes séparés de toi. Le meilleur moyen de nous rassurer, c’est de venir. » À lire ces lignes désolées, mes yeux se mouillèrent. Je répondis en promettant d’aller passer au pays la dernière quinzaine de l’année.

Un jour de novembre, j’avais vu Titi entrer dans un tripot où l’on jouait de l’argent. Jouait-il ? Mais un autre jour, l’endroit où il entra, sans se douter que j’étais sur ses talons, passait pour offrir des jeux d’une nature spéciale. Tous les pédérastes du boulevard, les « petits Jésus », s’y donnaient rendez-vous. « Cet enculé ! » avait gueulé le marchand de billets de l’Hippodrome. Disait-il donc vrai ? J’allais être fixé là-dessus et sur tout le reste. Au café Lazari, mon ami Grimsel, l’acrobate, me prit à part, me reprocha de m’afficher trop avec Titi et sa sœur, « aussi putains l’un que l’autre ». Il me fit de Titi un portrait repoussant : joueur enragé, laissant sur les tables de jeu l’argent qu’il gagnait, non seulement avec la claque et la figuration, mais encore en se prostituant et prostituant sa sœur. Ce qu’il m’apprenait d’Anaïs m’était, comme on le pense, particulièrement désagréable, et j’exigeai qu’il précisât. « Elle fait les cafés du côté de l’Opéra, oui, mon grand, et si tu veux la paumer, va te promener sur le coup d’onze heures du soir entre la rue Le Peletier et le boulevard. Elle fait ses passes à l’Angélus et à l’Hôtel de l’Europe. » Il ajouta que son frère, cet avorton grotesque, la