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Page:Fargèze - Mémoires amoureux, 1980.djvu/173

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faire penser à quelque saine paysanne de la campagne romaine.

Le petit Germain ne se décidait pas à s’endormir. Tout en le berçant, elle l’emporta. Les buveurs, tous mariniers, s’entassaient dans la salle, Buizard et sa femme courant d’une table à l’autre. On discutait, on criait fort, on riait, dans l’âcre fumée des pipes. Je me levai, suivis le corridor qui menait à la cour. J’entendis la voix berceuse de Jeanine et, en passant, je l’entrevis dans une chambre où, sans lumière, elle endormait l’enfant. Elle se tenait penchée au pied du berceau. Elle chantonnait les mots qui apportent le sommeil. J’entrai, l’entourai d’un bras, pris un baiser sur sa nuque. Elle eut un léger tressaillement. Je relevai la jupe, me collai contre elle, sous la chemise froissée, dans l’entrefesson que livrait un complaisant écart des jambes. Délicieux vertige ! À peine avait-elle bougé. À peine encore bougea-t-elle quand je lui renouvelai mon baiser, dans le cou, cette fois, à la hauteur de l’oreille. « Je t’adore, Jeanine », chuchotai-je. Et je reparus dans la salle, impassible. Elle s’y montra bientôt. Elle venait, face pâle, regard fixe, bouche frémissante, telle une somnambule. Mais elle se reprit, s’employa au service des tables. Puis elle s’assit auprès de moi, saisit en cachette ma main, la pressa nerveusement. Je partis enfin dans le bruit, dans la fumée, Buizard et leurs clients me souhaitant bon voyage et me chargeant de mille amabilités pour mes parents.

Un toc-toc à ma porte, le lendemain matin. J’étais au lit. « Qui est là ? — Moi, Jeanine. » En chemise, je courus ouvrir. Jeanine ! Jeanine par un froid de loup ! Jeanine dont j’avais à implorer le pardon pour ce viol impudent, que, toute cette nuit, j’avais rêvé de racheter par une étreinte consentie et confiante ! Jeanine ici, dans ma chambre ! Elle me mangeait de baisers. Je l’aidai à se dévêtir afin qu’elle se couchât vite, car elle grelottait dans cette pièce glaciale. Sous les draps, sous l’édredon, cuissée contre moi, elle grelottait encore. Mais je sus bien la réchauffer. J’aimai le joli grain doré de sa chair, sa chair qui n’allait faire qu’une avec la mienne. Ses seins