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Page:Fargèze - Mémoires amoureux, 1980.djvu/176

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CHAPITRE TROISIÈME

On me revoit à Saint-Brice. Agathe enceinte.
Les événements d’Italie. Ma chère Jeanine.
La victoire de Montebello.

Combien je fus heureux de me revoir entre ma mère et mon père, qui me dorlotèrent avec leur inlassable tendresse de toujours ! Je les jugeai vieillis. Le pays m’apparut sous un autre objectif qu’après ma révélation première de Paris. Devenu Parisien, pouvais-je reprocher à mon village l’immobilité de sa vie, et ne devais-je pas lui savoir gré d’être immuable en son souriant décor ? Mon pantalon à grand carreaux, ma redingote fort ordinaire, mais serrée à la taille, mon haut-de-forme fatigué, mais au large bord, firent sensation dans la rue. Des gens qui m’avaient vu tout enfant, et qui me tutoyaient, hésitaient à répondre au bonjour de l’élégant monsieur qu’à leurs yeux j’étais devenu.

À l’auberge Lureau, je fus accueilli par une Agathe grosse de cinq mois, face boursouflée, cuivrée, ventre et derrière crevant le jupon. Elle était hideuse. Elle en avait conscience et mon apparition imprévue la vexa. Elle courut faire un brin de toilette, qui n’eut d’autre effet que de souligner les tares de l’obésité précoce et celles de la gestation. Elle allait enfin devenir la Bougrette, Bougret se décidant au mariage, moins par amour qu’afin de justifier l’octroi d’un congé militaire illimité qui, en fait, lui était également dû après un service de trois ans et demi sur sept. Les cloches sonneraient pour la noce dans les premiers jours de février.