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Page:Fargèze - Mémoires amoureux, 1980.djvu/185

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enclumes, ne chômaient pas une minute. À la table où longtemps j’avais présidé aux écritures, je trouvai un fantastique entas de papiers, lettres, avis d’envois, ordres d’exécution, sur lesquels je me jetai avec ce courage à la besogne dont, à l’occasion, je savais me montrer capable. Je ne reprenais souffle qu’à la fin de l’après-midi.

Agathe, mariée depuis trois mois, avais mis au monde une petite fille. Le ménage Bougret s’était réfugié dans l’arrière-cuisine pour céder la place aux militaires. La mère Lureau couchait dans la salle même de l’auberge. La petite Louisette, sa nièce, campait de nuit dans la remise à outils qui prolongeait le poulailler : c’étaient là les dernières nouvelles. Dans tout Saint-Brice, les commerçants, les paysans se félicitaient d’une guerre inespérée qui faisait entendre un agréable roulement d’écus.

Marié, lui aussi, Morizot. Mais il venait de monter en grade. Promu à Beaune, il y ferait souche. Ce déjà vieil ami, que je ne verrais plus ! Bah ! J’avais tant à faire, que je n’eus pas le sentiment de son absence. Il m’écrivit, m’invitant à venir le voir, et je lui répondis par une vague promesse. Déjà sa silhouette s’imprécisait dans mon souvenir…

En Italie, l’armée française allait de victoire en victoire, les dépêches officielles insistant sur la présence de Napoléon III à la tête des vainqueurs. Le 31 mai, ce fut Palestro, et il y eut soûlerie générale, les autorités militaires et civiles prêchant d’exemple. Le 4 juin, ce fut Magenta, qui fit acclamer le nom de Mac-Mahon, devenu du jour au lendemain duc et maréchal de France. Le 8, ce fut l’écrasement des Autrichiens à Marignan par les troupes de Baraguay d’Hilliers. Les triomphales dépêches se suivaient et l’on ne dessoûlait plus à Saint-Brice.

Ce soir de Marignan, je traînais à l’auberge Lureau mon énervement de boire. Louisette servait. Agathe, baudruche soufflée, roulant des tétines brimbalantes, ne venait plus guère aux tables. Bougret, niaisement humble avec moi, qui m’eût léché les bottes, débouchait les bouteilles. Je buvais en compagnie d’un caporal-sapeur que m’avait prêté le capitaine Quincette, et qui m’aidait à classer les