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Page:Fargèze - Mémoires amoureux, 1980.djvu/187

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l’instinct du vice plus qu’elle n’en ressentait le chatouillement, mais je ne me divertis pas moins avec ce joujou rieur qui refermait sur moi ses bras frêles. Je la quittai après avoir revissé la targette. J’avais passé avec elle un marché amoureux : Elle se laverait de la tête aux pieds, avec du savon et à l’eau chaude. Je la prendrais chaque soir et lui donnerais quarante sous. Elle se vit riche, s’offrit — mais je refusai — à me ménager un accostage supplémentaire, l’après-midi, « dans le coin de la porte comme faisait Agathe ». Elle nous avait surpris, mais me jura n’en avoir soufflé mot à personne. Elle en crevait encore de rire, se rappelant le gros derrière de sa cousine, si gros, me dit-elle, qu’il lui avait fait peur. Elle riait de tout et sans cesse, Louisette ; elle s’épouffait comme d’une bonne farce en me laissant tout à ma guise la manœuvrer d’amour.

Et ce fut, le 14 juin, Solferino. On pavoisa. Victorieux sur toute la ligne, il ne manquait plus à l’empereur que d’être populaire, et à cet effet il fit répandre beaucoup d’argent pour que l’on fêtât ses victoires. On ordonna des bals ; on banqueta. La troupe eut du vin et des douceurs. Huit jours de suite je fis la noce, mais sans pour cela quitter des yeux le travail militaire qui m’incombait.

Le capitaine Quincette nous apprit, à la fin du mois, qu’il prendrait pension désormais chez les Lureau, sa femme arrivant de Paris et la plus belle chambre de l’auberge étant aménagée pour elle. Mon père et ma mère s’inclinèrent devant cette décision, qui n’interromprait pas leurs rapports avec le sympathique officier, nos meilleures bouteilles pouvant partout le suivre. L’arrivée de sa femme, le 1er juillet au soir, passa presque inaperçue. Il s’y était préparé par des libations d’alcool dont le service avait été assuré par Bougret, promu planton. Tous les habitués de l’auberge étaient impatients de voir Mme la capitaine. Ils s’attendaient, nous nous attendions à quelque cosaque en jupons, doublure femelle de l’invétéré buveur de schnick. Aussi fûmes-nous bien surpris à l’apparition d’une jeune dame au port gracieux, à l’élégance toute parisienne sous un chapeau impératrice en paille d’Italie, habillée d’un