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Page:Fargèze - Mémoires amoureux, 1980.djvu/188

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taffetas bleu clair tout orné de nœuds qui contournaient la crinoline. Elle ne fit que passer, traversant l’auberge sans se préoccuper de nous. Les jours suivants, nous ne la vîmes pas plus. Elle et son mari prenaient les repas dans leur chambre. Que ce brave homme d’ivrogne, tout pustuleux, dormît aux côtés d’une si belle épouse, était-ce croyable ? Il nous parut pourtant qu’ils s’entendaient parfaitement.

Le 12 juillet fut un nouveau jour de fête. La veille, l’empereur des Français et l’empereur d’Autriche avaient eu, à Villafranca, une entrevue aboutissant à des préliminaires de paix. Paix boiteuse, car la libération de l’Italie était loin d’être assurée, mais qui n’en fut pas moins célébrée dans toute la France. La municipalité de Saint-Brice tira des pétards, quoique à dire vrai les gens eussent voulu que la guerre durât jusqu’à la fin des siècles. Mon père avait, en ces deux mois et demi, gagné plus de dix mille francs. Il m’en remit trois cents pour grossir mon pécule. Dès le 15 juillet, le capitaine Quincette m’annonça, en me donnant un satisfecit, qu’il me rendait ma liberté, et je m’empressai de décider mon retour. Je reprendrais, le 20, le chemin de la capitale. La veille, j’allai faire mes adieux à celui qui avait été mon chef, et je le remerciai des bontés qu’il avait eues pour moi. Je pus, à la faveur de cette démarche, voir de près sa femme, qui fort aimablement m’exprima son intention de rendre visite à ma mère, le capitaine lui en ayant dit le plus grand bien. Elle était vraiment splendide. La section du génie devait rester quelque temps encore à Saint-Brice, afin d’organiser les convois de vivres des troupes d’occupation.

J’étais à Paris le 21. J’avais indirectement prévenu Jeanine, qui m’attendait au débarcadère. Ivresse de nous revoir, après une séparation si pesante ! Je l’emmenai dans un hôtel, et nous allâmes aux cimes du bonheur. Elle était partie de chez elle tête nue, en tablier à carreaux, sous prétexte d’une commission dans le voisinage. Que nos rencontres de chair fussent si brèves, elle s’en chagrinait plus que jamais. Elle eût voulu me donner toute une nuit. Elle en revenait à cette idée folle de se mettre avec