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Page:Fargèze - Mémoires amoureux, 1980.djvu/189

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moi, et je voyais bien qu’elle ruminait celle du mariage. Je m’efforçais de l’amener à prendre patience, en lui représentant que bientôt, quand le petit Germain marcherait seul, il lui serait plus facile de se rendre libre. En attendant, elle pourrait venir occasionnellement dans l’après-midi, ce qui lui permettrait de mieux dissimuler ses absences. Elle s’était pour la première fois entièrement dévêtue, ce qui me fut bien agréable. La maternité n’avait marqué en rien l’harmonieuse voûte d’un ventre que la moindre alerte sensuelle agitait de soubresauts.

L’éditeur Marchant m’avait confié des manuscrits. J’arrivais, sans trop de peine, à gagner ma petite journée. Après quoi je sortais, descendais dans Paris, où les fêtes de la victoire perpétuaient leur éclat. Les troupes ne faisant pas partie du corps d’occupation rentraient dans un tonnerre de fanfares, d’enthousiastes ovations saluant, comme on disait, les braves à trois poils qui n’avaient eu qu’à paraître pour vaincre. Mon père m’écrivit que Saint-Brice reprenait sa physionomie habituelle. Le capitaine Quincette et sa femme venaient de partir. Singulière nouvelle : ils avaient emmené la jeune Louisette, dont ils feraient une bonne. Il me donnait leur adresse, 35, rue du Bac, mais je n’aurais certainement pas l’indiscrétion d’y aller.

Je me rendais trois fois par semaine chez Marchant, sans songer qu’un jour je pourrais m’y trouver devant Anaïs, et voilà que je la croisais sur la porte de l’éditeur qu’elle m’avait fait connaître. Qualifierais-je de morbide la sensation subite que j’éprouvai ? La sœur du bossu portait au poignet le bracelet que je lui avais offert. Je me remémorais notre dernière partie, dans ma chambre, dix mois auparavant, et notre séparation toute cordiale. Je la fis entrer dans un estaminet. Elle me dit son plaisir de me revoir. Elle estima que j’avais grossi. « Ze vous trouve encore embelli », traduisit-elle. Pour moi, je la complimentai sur le bel état d’une poitrine qui forçait l’échancrure d’un boléro. Quelques minutes plus tard nous étions sur un lit d’hôtel, à nous dévorer l’un l’autre. Elle en tenait pour moi, je le voyais assez, si j’en tenais pour elle.