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Page:Fargèze - Mémoires amoureux, 1980.djvu/205

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Mon installation à l’hôtel Rollin, rue de la Sorbonne, fut opérée avec toute la célérité possible. J’avais au premier étage une grande chambre qu’Hortense jugea gaie et Jeanine magnifique. Mais il me fallait organiser ma vie passionnelle, qui se compliquait. Je fixai à Jeanine d’immuables heures de visites, le matin, entre huit et dix. J’établis l’itinéraire détourné d’Hortense, qui, en évitant les abords de la place Saint-Michel, viendrait tantôt vers la fin de l’après-midi, tantôt le soir. Elles seraient à moi tous les deux jours, chaque jour m’en apportant une. Entrées et sorties étant ainsi réglées, j’évoluai entre mes deux amies en me disant que tout était pour le mieux dans le meilleur des mondes où l’on faisait l’amour.

Hortense me restait encore presque inconnue après ce coup de théâtre du 15 août, si extraordinaire. Et de moi, que connaissait-elle ? Mais nous avions vécu en commun d’inoubliables minutes, et quand elle entra le lendemain dans ma nouvelle chambre, nous eûmes le sentiment d’être liés depuis un long temps. Nous plantâmes la crémaillère, et le sens équivoque de l’expression la mit en joie. Je fus d’abord surpris de l’intégrale familiarité que spontanément elle voulut entre nous.

De vrai, ce n’était plus la même femme. Celle-ci manifestait une effronterie sexuelle sans limites. Après s’être livrée entière, elle s’épuisait à attiser ses sens et les miens en s’offrant en détail. Quelle terrible maîtresse ! Mais avec ses muscles, ses nerfs, quelle machine à forniquer ! Où diable avait-elle pris et appris tout cela ? L’histoire du bel officier remontait à six ans ; d’Horchiac faisait figure de couille molle ; le capitaine Quincette sacrifiait certainement plus à l’alcool qu’à tout le reste. Elle me conta que les charmantes pratiques du saphisme avaient amusé ses nuits de pensionnaire, et que le souvenir attendri qu’elle en gardait n’avait été que partiellement aboli par la connaissance de l’homme. Même, elle m’avoua que la complicité d’une amie lui valait de ranimer parfois ce souvenir. Elle dit aussi que cette amie, coureuse de sensations ultra-conjugales, l’avait nourrie de toute une littérature aux imageries échauffantes, que lui passait un amant.