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Page:Fargèze - Mémoires amoureux, 1980.djvu/210

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fœtus même un peu après la période embryonnaire. Il suffisait qu’elle gardât l’opérée vingt-quatre heures. Toute une comédie fut machinée par ma pauvre amie pour qu’elle pût passer une journée et une nuit hors de chez elle. Une cousine Buizard, demeurant à Robinson, demandait à garder quelque temps le petit Germain. Jeanine l’y mena, disant à son père et à sa mère qu’elle y resterait trois jours. Elle en revint sur l’heure et put ainsi se rendre chez la sage-femme, qui la délivra sans difficulté. Elle n’en fut pas moins très affaiblie, sans l’être pourtant au point d’éveiller les soupçons autour d’elle.

Les soupçons de sa méchante belle-sœur, surtout, qui l’obsédait de sa sournoise surveillance. Elle offrait, cette Pauline Maillefeu, une figure décolorée qu’on eût dit sculptée dans un navet. Des yeux sans vie ; une grosse tête engoncée. Exagérément tétonnière, avec ça, et roulant sous son jupon des fesses de jument, ces fesses qui m’avaient valu d’être qualifié de saligaud parce qu’un jour je m’étais permis de les pincer. Elle venait de passer les trente ans mais en marquait bien quarante. Or, depuis longtemps cette aigre demoiselle ne possédait plus rien d’une pucelle. Jeanine, quand elle se défendait contre elle, ne se faisait pas faute de lui rappeler certaine histoire assez ancienne, des rendez-vous avec un garçon boucher qui s’était amusé d’elle en lui promettant le mariage. Elle avait, chez les Buizard, la situation d’une demi-servante, et l’on y appréciait ses qualités de travailleuse propre et ordonnée.

Je faisais assez souvent, après-dîner, ma partie aux « Amis de la Marine » avec Buizard et des habitués. Mme Buizard, Jeanine et Pauline tricotaient ou ravaudaient. Vers dix heures, les femmes se retiraient, et quelques instants après Buizard mettait ses derniers clients à la porte. Peu pressé de rentrer, je rejoignais aussitôt mes amis.

Un soir que je m’en allais, je distinguai Pauline Maillefeu à l’entrée du corridor desservant les chambres de l’hôtel, au coin de la rue Dauphine. Elle logeait là, au rez-de-chaussée ; j’avais, à mon arrivée à Paris, logé au deuxième étage. Elle était appuyée contre la porte, dans