Aller au contenu

Page:Fargèze - Mémoires amoureux, 1980.djvu/224

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
221

Hélas ! Un après-midi, arrivant de chez l’éditeur Marchant, je trouvai vide la chambre des chères petites. Le commissaire était venu à l’improviste, accompagné d’une dame chargée de les ramener de gré ou de force à leur père. Une dame de la police, qui leur donna le choix entre sa compagnie et celle d’un gendarme. Vivement on avait fait leur malle, réglé leur compte. Sous une vigilante surveillance, un fiacre les avait emportées. Sans doute roulaient-elles à présent sur le chemin de fer du Grand Central…

Consterné, je m’enfermai chez moi, tout à mes souvenirs. Gabrielle et Françoise Liaubert ! Huit mois j’avais possédé leur âme fraîche et leurs gentils charmes. Je les pleurais, vouant le plus gros de ma peine à la douce Gabrielle, dont Françoise était d’ailleurs l’harmonieux complément.

Quelque repos me devenait nécessaire. On touchait à l’automne de 1864 et j’avais retardé de plusieurs mois mon séjour annuel à Saint-Brice. J’y allai. Les premières paroles de mon père furent pour me rapporter les échos de mes relations avec les jeunes Mâconnaises. Il n’en ignorait même pas l’épilogue policier. Il n’était guère content de moi et ne me le cacha point. Avais-je donc juré de ne pas devenir sérieux ?

Mais que m’apprenait-il ? Le capitaine Quincette, faisant en voiture une tournée d’inspection, était passé à Saint-Brice quelques jours auparavant. Sa femme l’accompagnait, toujours bien belle, mais très fatiguée. « Ils sont venus à la maison. Elle a demandé de tes nouvelles. » Et, me regardant d’un air interrogateur : « Elle en a même redemandé, en insistant d’une drôle de manière. Est-ce qu’elle aurait quelque chose pour toi, par hasard ? » Je répondis à cela qu’à Paris je n’avais eu que deux ou trois fois l’occasion d’entrevoir Mme Quincette, en passant, le temps d’un salut.

— Louisette était avec elle, et nous n’avons pas échangé un mot, précisai-je, compensant le mensonge par un peu de vérité.

Le rouge m’était monté au front, ce disant, et mon père ne fut pas sans l’observer. Depuis deux ans et demi je ne