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Page:Fargèze - Mémoires amoureux, 1980.djvu/225

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savais rien d’Hortense, et voilà qu’elle reparaissait, se signalant indirectement à moi. Que signifiait cela ? Était-il possible qu’elle n’eût pas fait une seule fois, en ces trente mois, le voyage de Paris, où elle continuait d’avoir son appartement ? Ceci posait une singulière énigme.

Agathe, pétant de graisse, traînait le poids de sa quatrième grossesse. Louisette, dans sa vingt-deuxième année, venait d’épouser un propriétaire de Saint-Jean-de-Losne, quadragénaire mi-bourgeois et paysan, qu’elle menait par le bout du nez. Ses formes s’étaient arrondies sans excès, et le compliment que je lui en fis la rendit fière. Elle voulut me montrer sa maison, mais quoique son mari fût absent elle ne me permit qu’un constat superficiel de ses attraits nouveaux. Je ne tardai pas à me sentir bien seul dans l’isolement de Saint-Brice. Mes anciens amis de l’auberge avaient quitté le bourg ; des visages inconnus m’accueillaient « Pourquoi ne te maries-tu pas ? » disait ma mère. Et mon père d’ajouter : « Si Paris est dépourvu de filles à marier, je t’en trouverai ici dix pour une, richement dotées et jolies. Qu’est-ce que tu attends pour me charger de la commission ? » Il raillait, mais sous sa raillerie je percevais l’accent de la tristesse. « Félicien, me dit-il un soir, est-ce que tu consultes ton calendrier, quelquefois ? Le temps file, mon garçon. Voilà que tu glisses vers la trentaine… » Ma mère l’entendit. Elle se mit à pleurer et mes larmes se mêlèrent aux siennes.

Pendant quinze jours je fus tout à eux. Quinze jours… Et j’allais repartir. Que faisais-je à Paris ? Quelle destinée y poursuivais-je ? Mais à ces questions que je feignais de me poser je tenais toute prête une réponse. Je m’en retournai le seizième jour, impatient de retrouver la grande ville qui ensorcelait mon esprit et mon cœur.

J’étais rue Monsieur-le-Prince à dix heures du soir. Je me couchai tout de suite. Au matin, Mme Piquerel vint me demander l’heure et je la fis entrer.