Aller au contenu

Page:Fargèze - Mémoires amoureux, 1980.djvu/246

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
243

me quitter si tôt, n’ignorant pas qu’après minuit commençait la vraie fête. Elle en vint à ne rentrer qu’à une heure ou deux du matin. Elle prenait goût à la halte bruyante des brasseries où elle m’accompagnait après le bal. Nous y retrouvions mes amis, qui étaient devenus les siens. Elle buvait, fumait autant que ces dames. Il m’arriva de la reconduire un peu ivre, malade. Son père s’alarma de ces intempestives incartades. Il se rendit au Comité, se renseigna, apprit que les invitations prétextées n’étaient que mensonge. Il eut avec sa fille une explication extrêmement vive. Elle me raconta tout, m’avouant en même temps que le jeune clerc de Rouen l’ayant déflorée, M. Cadine l’avait su, s’était emporté avec violence, avait exigé le mariage réparateur. Elle n’aimait pas son fiancé, et c’est ce qu’en me caressant elle m’avoua aussi.

Elle n’obtint plus une seule permission du soir, mais nos rendez-vous de l’après-midi ne furent pas menacés. On atteignait aux dernières semaines de l’Exposition. Dans les premiers jours d’octobre, comme je m’y promenais avec quelque mélancolie, en songeant que toutes ces splendeurs éphémères touchaient à leur terme, j’eus une émouvante rencontre : le capitaine Quincette et sa femme passaient devant moi, sans me voir ! Hortense avait un peu grossi, toujours fort belle. Je pris un détour pour la regarder mieux, et de si près qu’elle m’aperçut, fit un mouvement qui tira le bras de son mari, comme si elle eût buté sur quelque chose. Pourquoi n’allai-je pas à eux ? Leur présenter mes respects eût été naturel. Mais j’étais paralysé par l’émotion. L’était-elle moins ? Ses regards me parlaient. Alors, chapeau bas, dissimulé derrière un kiosque, je fis vers elle le geste discret d’un baiser.

L’Exposition fermée, Éva resta deux semaines encore dans les services, puis ce fut fini. Mais je continuai d’en jouir, soit qu’elle vînt dans ma chambre, soit que, l’attendant près de la barrière Maillot, je l’amenasse à quelque hôtel du voisinage. Où que ce fût, elle s’offrait avec la même impudeur abandonnée. Je me délectais de ses yeux. Je l’aidais à retirer sa crinoline. Je me faisais un jeu de la rieuse défense qu’elle opposait à ma hâte attoucheuse. Mais M. Cadine, son père, pressait le mariage ; elle sentait autour