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Page:Fargèze - Mémoires amoureux, 1980.djvu/260

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jolie, mais qui attirait par le polisson sourire de sa chair ; la maigre Marie Blandat, intelligente et d’esprit rosse, qu’un derrière exigu avait fait surnommer As de Pique ; Albertine Fouras, bordelaise mamelue, qu’on appelait Coquin, parce qu’elle ponctuait de ce mot la saccade finale ; la toute mignonne Milienne Thibaut, pomme d’api et bouton de rose, dont on mystifiait l’extrême naïveté ; Linette Prou, dite Cul Blanc, qui, si elle subjuguait les hommes, n’en passionnait pas moins les femmes ; la belle Siméonne, que caractérisait un roulement bien rond de l’arrière-train, tanguant lascivement au rythme de la marche. Je l’eus presque à moi seul assez longtemps. Je la prenais souvent encore. J’ai connu peu de dispensatrices d’amour qui fussent aussi ingénieuses à se renouveler.

Cette Siméonne, je ne l’avais pas vue depuis quelques jours quand, un soir, elle entra au Vachette en compagnie d’une petite personne inconnue de nous et n’ayant en rien la tournure des coucheuses du Quartier. Elle nous la présenta : « Une amie. Je lui ai dit qu’elle ne se compromettrait pas en venant ici. Rien à faire avec elle, je vous en avertis. Elle a quelqu’un de sérieux. Assieds-toi, Pierrette. » Elle avait vingt ans tout au plus. De taille moyenne, blonde et gracile, elle ouvrait des yeux bleus alanguis dans un pâle visage ovale empreint d’une gravité singulière, cette gravité qu’ont les visages d’enfants. Siméonne me confia que Pierrette, sa payse, était entretenue pas un négociant, marié et demeurant à Alençon, qui passait une semaine à Paris sur quatre. Elle avait appartement, bonne et vingt-cinq louis par mois. Mais ce généreux amant était soupçonneux et la faisait surveiller de près. Beau garçon, du reste, assez pour faire des caprices. Sur ce point, Siméonne précisa qu’elle en savait quelque chose, car elle l’avait eu avant Pierrette, dont elle répondait devant lui. Nous fîmes un accueil empressé à cette intéressante recrue, et notre milieu dut lui plaire puisqu’elle y reparut, flanquée toujours de Siméonne. Elle en devint presque une habituée, réservée, mais sensible à nos hommages. C’était à qui la ferait asseoir auprès de lui. Ses lèvres de bouderie me plaisaient, qu’elle vernissait