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Page:Fargèze - Mémoires amoureux, 1980.djvu/261

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de furtifs coups de langue. Un grain de beauté lutinait à la naissance de sa joue droite. Elle s’habillait avec un goût sobre, soulignant bien ses délicats agréments. Je commis l’indiscrétion de me pencher sur un transparent tissu qui dissimulait la matité liliale de seins fermement jumelés. Je lui dis qu’elle devait cacher là de purs joyaux. Elle émit un rire dont me frappèrent les résonances sensuelles. Quelquefois la nacre bleutée de ses yeux s’obscurcissait, le pâle visage s’enveloppant d’une rêverie triste. Qu’elle était touchante ! Je n’osais, en sa présence, sacrifier à l’incongruité qui constituait le fond obligatoire de nos propos de buveurs.

Mais le Quartier latin ne me retenait plus exclusivement, et j’avais repris le chemin de Montmartre. Je m’y adonnais à la danse, toujours et, surtout, je faisais de bonnes parties avec mes camarades anciens, à qui je gardais un souvenir fidèle, car ils me rappelaient mes premiers pas dans Paris. Parmi eux je comptais Framine, régisseur de la Reine Blanche, bras droit du directeur Goupil. Grâce à lui, j’entraînais en d’intimes conversations d’honnêtes dames qui, émues par quelques tours de valses, acceptaient volontiers un rafraîchissement. Je disposais, à cet effet, d’une retraite où nul autre que moi n’avait accès. Je pouvais même, par la cour, gagner le café-restaurant d’à côté, tenu par mon ami Rousselin, qui avait des cabinets particuliers et quelques chambres. Bien malin le mari qui m’y eût surpris. À l’heure de l’absinthe, je passai prendre Framine pour l’emmener à la Nouvelle Athènes, place Pigalle, où nous recevions le bonjour des plus présentables belles de nuit du boulevard de Clichy.

Cette double existence, je la menais sans que personne la devinât, le Quartier se souciant peu de Montmartre. Elle me rendait indépendant à l’égard de nos folles amies du Vachette et d’ailleurs. Elle me permettait de garder quelque tenue devant elles quand Pierrette était là. Alors je faisais la cour à l’amie de Siméonne, celle-ci me disant sans cesse que je perdais mon temps. Je lui rimais des vers dont je ne me souviens plus, dans lesquels j’exaltais ce que je voyais d’elle : « Que vos rêveurs yeux bleus sont