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Page:Fargèze - Mémoires amoureux, 1980.djvu/265

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de Rousselin, où courant à son sexe avec une douce violence, j’eus l’émotion ravie de découvrir un corps d’une sculpturale beauté ? Et la grande rouquine au visage de Diane chasseresse, avec son massif chignon dans le dos, et qui, en tablier blanc et cotillonnée court, apportait le pain chez Rousselin un peu avant midi ? De la bouche aux cuisses, comme elle sentait bon la pâte chaude ! Si de telles primes à l’éventuel étaient l’exception, combien de passantes dont j’ignorais le nom, qu’ensuite je voulais revoir à loisir afin de savourer mieux ce que m’avait fait pressentir d’elles un ajustement sommaire ! Mais que de déceptions aussi, et, pour un heureux déshabillage, que de linge sale et de derrières crottés !

Ma voluptueuse vie secrète avec Pierrette durait depuis plus de deux ans, sans que rien n’en eût été surpris, quand du jour au lendemain ce fut la séparation. L’amant en titre, le monsieur d’Alençon, notable apprêteur en soies, s’était associé à un grand soyeux lyonnais, et, transportant à Lyon son foyer, décidait d’y avoir sa maîtresse. Elle avait à choisir entre l’acceptation et la rupture. Il était riche et généreux. Elle s’en alla, désespérée. Son absence nous peina tous, mais ma peine à moi fut si évidente que Siméonne m’en plaisanta : « Décidément, c’était un vrai béguin que tu avais pour elle. Tu as bien perdu ton temps, toi si réaliste. » Réaliste était alors un qualificatif très répandu.

On se console de tout, et je me consolai. Au Quartier, je l’ai dit, on vivait sur des relations, des amitiés instables. Notre bande se désagrégeait périodiquement. Siméonne eut un collage sérieux ; Bibiane, malade, se plaignant d’un point au côté, là, douloureux, regagna, munie d’un viatique, son humble famille terrienne, près de Lons-le-Saunier. Mais nous eûmes le pire, car Viallet, en 77, nous fit ses adieux. Son oncle était mort ; il héritait, se voyait millionnaire. Il avait, dans le Sud-Ouest, une propriété considérable à gérer. Pendant huit jours nous fîmes une noce d’adieux carabinée — et les chahutants carabins n’y manquèrent pas, déchaînés en une mêlée de filles soûles. Viallet disparut et nul ne le revit plus jamais.