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Page:Fargèze - Mémoires amoureux, 1980.djvu/269

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tant tout ce qu’elle avait, argent, bijoux et robes. Elle écouta, distraite, mes paroles de consolation, mon offre de lui venir en aide. Le soir, on l’attendit vainement au café-concert. Elle n’y reparut plus, bien que son numéro lui fût payé deux louis. Quinze jours plus tard, j’avais la surprise de lire son nom sur l’affiche de Bullier, qui organisait tous les jeudis une grande fête. Elle y dansa dans le tonnerre d’acclamations des étudiants excités. J’étais au premier rang. Elle fut contente de me voir et m’accompagna au d’Harcourt. Elle regardait craintivement autour d’elle, sa fripouille d’amant la relançant partout.

Elle se montra peloteuse, mirant mes yeux, se frottant à moi. Elle me dit que ma peau lui plaisait et, à deux heures du matin, venu le moment de la séparation, elle s’offrit pour la nuit. Quelle nuit ! Un vrai paquet de nerfs, la Manola, des nerfs avec de jolis ornements charnus. Griffant et mordant, c’était une tigresse. Elle ruait sous moi et je quittais l’étrier ; elle me revenait en me criant au visage des mots espagnols qui étaient des obscénités mêlées d’injures. Elle s’endormit enfin et ronfla, pelotonnée comme une chatte. Mais au réveil reparut la tigresse, qui me mit assez rudement en demeure de me renouer à elle. Puis elle vida trois tasses de chocolat, dévora brioches et sandwiches et, sautant du lit, elle dansa nue. Je voyais fonctionner ainsi l’excitant mécanisme que cachait le vêtement de danse, et qui faisait tant haleter le désir. Elle aurait eu mon dernier souffle si je n’avais dû me rendre à mon bureau, où j’étais attendu. Je la revis à l’heure du déjeuner. Elle me cria qu’elle mourait de faim. J’allais m’enfermer avec elle dans un cabinet du d’Harcourt, à l’abri des gêneurs.

La nuit suivante, on tapa dur à ma porte. C’était la Manola. Elle me sauta dessus, m’embrassant, me léchant à pleine langue, mais je ne lui cachai pas que je ne l’attendais guère. « N’es-tu pas mon amant ? » fit-elle. Elle se dévêtait. Elle bondit dans le lit, se cala, m’étreignit, petite masse électrique. Je la pris. Elle se démenait en tempête. Elle disposait de moi, déchaînée, engageant un