Aller au contenu

Page:Fargèze - Mémoires amoureux, 1980.djvu/43

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
40

dépensa pour elle en sonnets fous qui l’affolèrent. Sa poitrine ondulante roula plus que jamais sur mon dos, chaque fois qu’elle eut à se pencher vers notre table. Je ne pouvais aller pisser dans la cour sans qu’elle y vînt rôder, espérant de moi quelque surprise. Laquelle ? Sa mère s’en aperçut et se tint aux aguets. C’était une puissante paysanne de quarante-cinq ans, bouffie et couperosée. Elle passait pour avoir promu à tous les honneurs du cocuage feu le bonhomme Lureau, lequel, étant maître-marinier, ne séjournait que par intervalles à Saint-Brice, où il se reposait dans la béate léthargie de l’ivresse. Donc, elle nous épia du coin de l’œil, Agathe et moi, ce qui n’incita pas à plus de retenue ma démonstrative camarade. En réponse à mes déclarations rimées, une prose fleurant l’école des Sœurs me fut servie. Agathe m’y qualifiait de « cher époux », et son pucelage m’y était généreusement offert. « Oh ! mon aimé, s’exclamait la plantureuse enfant, chaque fois que j’entre dans mon lit, je me demande quand tu viendras prendre ce corps qui t’appartient. » Le corps d’Agathe ! « Nous pourrions profiter d’un jour où maman serait au marché », ajoutait-elle. Ces offres se multipliaient en de belles lettres sur papier à dentelle, qu’elle glissait adroitement dans une de mes poches. Je les lisais à la maison, sous ma petite lampe, et avec une apollonienne sérénité j’y répliquais par la quincaillerie de mon lyrisme alexandrin. C’était entre nous une joute grotesque et sublime. À dix-huit ans, cela s’appelle encore faire l’amour.

Et puis, sans transition, mon platonisme s’évapora. Mes amis connurent un Fargèze effervescent, impatient de vivre. Avec eux je partageai les dernières veillées de printemps, qui chez nous sont autant de messes de minuit bachiques. Je me révélai mystificateur, instigateur de paillardises, joyeux chercheur de noises. Je fus de tous les bals des environs. Un jour, j’eus l’infernale idée de semer dans une salle de danse une traînée de poudre, dont la flambée provoqua des paniques. Nullement batailleur, mais intervenant dans les querelles où je n’avais que faire, j’eus bientôt contre moi tous ceux à qui mes poings