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Page:Fargèze - Mémoires amoureux, 1980.djvu/44

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donnaient tort. Je menai, pour tout dire, la vie du parfait garnement de village, si bien qu’à maintes reprises mon père dut me rappeler au sérieux. Je paressais tout le long du jour, et dès l’après-souper j’allais rejoindre Morizot qui, de loin, suivait avec inquiétude mes exploits pendables. L’arrivée de la Mère-Picarde, qui portait mon oncle, me surprit au moment critique où ces gamineries excessives menaçaient de soulever contre moi tout le pays.

L’oncle Pouchin, face jaunâtre et plissée, n’opposa pas à mes prétentions le peu de forces que lui laissait une maladie de foie. Il accepta mes services, qui consisteraient à tenir la comptabilité de sa batellerie. J’en serais à la fois l’écrivain, l’intendant et le caissier. Une sinécure ! Il est vrai qu’en retour j’exigeais peu : la nourriture et deux écus par mois. Nous quitterions Saint-Brice trois jours plus tard, dès qu’une autre péniche, l’Avalanche, serait arrivée.

Trois jours ! Subitement déchantait ma joie. Ainsi, j’allais partir, abandonner le calme de mon Saint-Brice natal, qui m’avait été si doux jusque-là ! Et cette chère Agathe, toute rose et ronde, si désireuse d’être prise ? Partir, en n’ayant eu d’elle que quelques billets échauffés, des yeux en pluie, de furtifs contacts ! Je courus à l’auberge. La maman Lureau devait être au lavoir. Je trouvai ma bonne amie seule, manœuvrant sans zèle un balai sur le plancher. « Ah ! Félicien ! Je pensais justement à toi », me dit-elle. Je collai mes lèvres sur la rouge pulpe de ses joues. J’expliquai « qu’en passant, j’avais eu l’idée d’entrer. » Elle me regardait. « Maman n’est pas là », susurra-t-elle. Et ses yeux émus quêtaient ma décision. Je l’embrassai encore, ma poitrine broyant la sienne. Nous nous trouvions au bas du roide escalier qui menait à sa chambre. Je connaissais la maison. « Veux-tu ? » lui dis-je. Elle fit « oui », pâmée déjà. Je la hissai, poussai une porte, acheminai la belle vers son lit, qui, défait, se creusait d’une profonde empreinte. Les yeux clos, elle tordait à pleines mains l’étoffe de ma veste. Je m’abattis sur elle. « Ma chérie ! Mon Agathe ! » Je m’apprêtais à saisir sa chair nue quand de la salle d’auberge une voix