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Page:Fargèze - Mémoires amoureux, 1980.djvu/45

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jappa : « Agathe ! Quéque tu fais là-haut ? » Sa mère ! Nous sursautâmes. Elle se secoua. « Je descends ! » jeta-t-elle à travers l’huis. Trop tard ! Un pas lourd faisait craquer l’une après l’autre les marches. Ma pauvre amie rapetassait le désordre de sa toilette quand apparut la haute et large maman Lureau. « T’as un drôle d’air. Qu’est-ce qui t’arrive ? » Elle entra, fureteuse, et me débucha. J’avais pris le parti de sourire, d’un air niais très dégagé. Elle me regarda, courroucée, regarda sa fille, montra le poing et rota : « Salope ! » Sa main s’élança pour une gifle. Agathe fit un écart ; je m’avançai. Elle me regardait encore. Je dis : « Voyons, voyons, c’est moi qui suis cause… » Alors la congestion de son visage s’éteignit, et elle parla, presque calmée, retenant la menace de ses gestes :

— Tu n’as pas honte, petite saleté ! Tu ferais mieux d’aller savonner ton linge. Tu mériterais une giroflée à cinq feuilles sur ta figure de putain.

Et s’adressant à moi :

— Félicien, j’ai à vous dire que pour un garçon bien éduqué, c’est très mal d’avoir fait cette cochonnerie. Si je vous y reprenais, j’irais me plaindre à votre mère. Ma maison n’est pas un bordel.

Agathe venait de descendre ; elle la suivit ; je descendis derrière elle. Dans la salle, je fis le beau, passai mon bras sous celui de maman Lureau et lui contai l’histoire à ma façon : j’étais entré, je n’avais trouvé personne, et sans intention mauvaise j’étais monté dans la chambre, où Agathe se coiffait. Il n’y avait pas là de quoi faire tant de tapage.

— Félicien, ce qui est dit est dit, rétorqua-t-elle. J’ai les yeux ouverts et les deux sont bons.

Je voulus pourtant avoir le dernier mot, et je l’obligeai de trinquer avec sa fille et moi. Nous bûmes le vin blanc d’une bouteille que je payai quinze sous, et je m’en allai le plus naturellement du monde. Mais je ressentais les traits aigus de la luxure, et toute la journée je rôdai dans Saint-Brice comme une bête en chaleur. Mes regards déshabilleurs faisaient sourire et s’enfuir les femmes. Je