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Page:Fargèze - Mémoires amoureux, 1980.djvu/52

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d’Orléans se profila dans le lointain poudreux, je ne retins pas l’éclat de ma joie. Enfin ! J’allais voir quelques visages nouveaux. Nous venions, après Combleux, d’arriver en jonction de la Loire. Il était quatre heures de l’après-midi quand nous fûmes à quai. Immédiatement je pris licence de visiter la ville. J’allai devant moi, de rue en rue. Les monuments ? Je les regardais à peine. Je n’avais d’yeux que pour les filles, qui toutes me paraissaient jolies. Que faire ? J’observai bien quelques agaceries, mais de promeneuses que je n’osais suivre. Je ne savais rien des maisons closes. J’errai ainsi jusqu’à la venue de la nuit, qui ramena ma déception lasse aux péniches. Et que vis-je, alors ? Au bord du canal, qu’éclairait la lune, Balthasar était assis en compagnie d’une femme assez jeune, une boulotte rousse au visage avenant. Ils se tenaient amoureusement enlacés. Ironique, il me signala ; elle me regarda, souriante. Je détournai la tête. Filant d’un trait sur la Mère-Picarde, j’avalai ma soupe et gagnai mélancoliquement mon lit, dans l’Avalanche. Je me trouvais très malheureux.

Je m’endormis, pourtant. Mais quoi ? Dans la torpeur du premier sommeil, je percevais un étrange rythme de bruits. On eût dit qu’on faisait grincer, crisser une mécanique. C’étaient aussi des souffles âpres, coupés d’ahans. Ne rêvais-je pas ? Tout à coup ce fut un cri de femme, aigu, suivi de gémissants « ha ! ha ! » et je me réveillai, me soulevai, jetai de droite et de gauche des regards clignotants. Les pâleurs de la lune éclairaient la cabine. Et ce que je vis m’est resté nettement écrit dans la mémoire, après tant d’années d’une extravagante existence : Balthasar faisait l’amour, dans son lit que six pas séparaient du mien ! Balthasar animait de trépidations son petit lit de fer, en bourrant rudement la boulotte rousse, dont les grasses épaules s’agitaient ! Tous deux s’occupaient avec tant d’ardeur qu’ils ne s’avisèrent pas de mon alerte. Je me rengonçai dans l’ombre de mes draps, où je demeurai coi, témoin muet de leurs empoignades. Un moment, je les vis prendre une posture de bêtes. Ils ne s’endormirent que tard dans la nuit, ronflant l’un contre l’autre. Mais,