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Page:Fargèze - Mémoires amoureux, 1980.djvu/53

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pour moi, la stupeur tenait mes yeux grands ouverts, et je ne parvins pas à retrouver le sommeil.

Balthasar commençait sa journée dès quatre heures. Il se leva, ouvrit le hublot pour pisser dans le canal, s’habilla, monta sur le pont, et je l’entendis s’éloigner du côté de la Mère-Picarde. Ainsi, ce jean-foutre laissait sa maîtresse, nue et seule, à quelques pas de moi ! Était-il possible qu’il me prêtât si peu d’importance ? Je sautai hors du lit. La femme dormait. Sans me vêtir j’escaladai l’escalier, soulevai légèrement le châssis. Je vis Balthasar à vingt mètres de là, se rendant à notre nouveau bateau, la Ville-de-Nevers. Mon oncle était auprès de lui. Redescendant vivement, je me glissai dans le lit du marinier aux côtés de la dormeuse. Mes mains palpèrent la plantation des seins, explorèrent l’étendue des fesses. Elle continuait de dormir profondément, roulée en boule. Je la déroulai sans qu’elle s’éveillât et l’envahis doucement. L’enivrante audace ! Je la foulais à grande force quand elle ouvrit enfin les yeux. Elle sursauta, parcourut d’un regard circulaire la cabine, reporta sa vue étonnée sur moi. N’allait-elle pas crier ? « Taisez-vous, taisez-vous », murmurai-je sur sa bouche. Elle plongea ses yeux dans les miens, reculant un peu la tête, et puis ses cils battirent, elle se laissa retomber, s’abandonnant à l’inconnu que j’étais, comme si de toute éternité nos chairs se fussent mariées sous les draps. Elle me serrait à m’étouffer, et bientôt nous connûmes la suffocation d’une commune jouissance.

— Je vous ai vu passer hier soir, me dit-elle. Que vous êtes jeune et bien fait !

C’était une aimable fille, et point sotte. Elle s’appelait Maria, surnommée la Berrichonne. Elle connaissait Balthasar depuis cinq ans, et à chacun de ses passages il la voyait et lui remettait ses économies. Elle crut devoir me dire qu’elle n’avait jamais eu d’autre amant.

— Vous êtes le second, mais je sens que vous serez le premier dans mon cœur, ajouta-t-elle en me caressant le visage.

Je remontai l’escalier, inspectai le pont et les alentours.