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Page:Fargèze - Mémoires amoureux, 1980.djvu/56

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et la Berrichonne avaient pris chambre à l’auberge. Il me fut difficile de clore l’œil, et à quatre heures du matin j’étais debout.

— Vous avez bien dormi ? me demanda la friponne en me servant, peu après, mon petit déjeuner.

Un hargneux « et vous ? » fut ma réponse. Elle se retira sans insister. Pendant toute une semaine je n’eus ni un mot ni un regard pour elle, qui ne tentait pas de rompre ce mutisme. Cependant je sentais s’exaspérer ma fringale d’amour. Je ne dormais plus ni ne mangeais. La constante présence de ce cotillon qui ballait autour de moi m’imposait l’idée fixe de la possession. Je n’y pus tenir. Un matin, grimpant en chemise l’escalier, je guettai l’arrivée de la Berrichonne, qui suivait de peu celle de Balthasar, et je l’appelai d’un « psitt ! psitt ! » discret, comme elle s’apprêtait à vaquer au ménage, sur le pont. Elle fit semblant de ne pas entendre. Je l’appelai de nouveau, nommément et à voix haute : « Maria ! » Elle ne bougea pas plus. Mes appels s’enrouèrent. Je rampai jusqu’à elle, oui, je rampai, en chemise ! Elle n’en croyait pas ses yeux et ne fit pas un mouvement pour m’échapper. Rampant toujours, je l’empoignai par un pied, la fis choir derrière des cages à poules et une niche à chiens. Et je la possédai. Affolée, elle gémissait « mon Dieu ! mon Dieu ! » en dirigeant des regards chargés d’effroi du côté de la Ville-de-Nevers, où Balthasar, si près de nous que je pouvais lire le nom de « Maria » tatoué sur son bras, puisait de l’eau dans le canal.

— Je t’attendrai dans mon lit tous les matins, lui dis-je, en reprenant ma marche rampante jusqu’à l’escalier.

Mais je ne pus patienter jusqu’au lendemain, et vers le soir je l’entraînai dans la cabine. La double rencontre devint notre règle quotidienne. Elle me témoignait une passion croissante et nous ne nous désenlacions qu’à regret.

De tels arrangements défiaient la plus sommaire prudence. Les mariniers durent observer quelque chose, et sans doute eurent-ils devant Balthasar, qu’ils détestaient, des allusions gouailleuses dont il s’émut, sans savoir au