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Page:Fargèze - Mémoires amoureux, 1980.djvu/57

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juste de quoi il retournait. Il y avait plus d’un solide gars sur les bateaux, et de tous j’étais probablement celui dont il se méfiait le moins. Je reconnus qu’il se livrait à une surveillance étrangère à son emploi. Il rôdait dans des coins où n’allait personne. Trois jours d’affilée il me fut impossible d’approcher Maria. Elle me télégraphiait des signaux d’alarme. Peut-être l’avait-il interrogée, menacée, battue ? Je vivais sur des charbons ardents.

Sur ces entrefaites, mon oncle se rendit à Nevers, appelé par les débats d’un procès. Il devait y rester deux ou trois semaines. J’espérais que Balthasar, chargé de responsabilités durant cette absence, et souvent obligé de quitter le bateau, renoncerait à surveiller sa maîtresse, et je m’en réjouissais. Mais je comptais sans sa ruse de jaloux. Sous prétexte de faciliter le service, il décida que la Berrichonne se tiendrait sur la Ville-de-Nevers, et qu’à l’heure des repas un mousse apporterait la popote pour tout le monde sur l’Avalanche. Et dès le premier jour il en fut ainsi.

J’étais déçu. J’avais beau guetter la minute propice, je parvenais tout au plus à glisser quelques paroles à Maria, qui, terrorisée, ne se risquait pas à me répondre. Je m’avisai de la joindre quand elle irait en commissions. Je descendis à terre, feignis de me rendre en ville et me tins dans une encoignure, vers le milieu d’une ruelle déserte qu’elle suivait le plus souvent. Je m’y morfondais quand je vis arriver quelqu’un dont je me serais bien passé : Balthasar en personne. Il me regardait en se dandinant sur ses lourdes pattes, et il avait son ricanement de l’autre jour.

— C’est-y votre bonne amie que vous attendez là ?

Je rougis jusqu’aux oreilles. « Occupez-vous de ce qui vous regarde ! » lui jetai-je sèchement.

Il passa, ricanant encore, et j’attendis qu’il eût disparu pour quitter la place. J’étais tout tremblant de dépit. Un instant je songeai à le rattraper pour lui crier que Maria le cocufiait avec moi. Mais soudain j’eus la surprise de le revoir à peu de distance et cherchant à se dissimuler. Il observait mes mouvements. Je pris à gauche et il se